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[À BRISSOT, À PARIS#1.]
3 août 1789#2, — du Clos.

Tout le monde m’engage à venir habiter la ville, je n’en ferai rien ; je n’ai chagriné personne à la campagne : je n’ai ni terriers, ni titres ; je n’ai fait que[1]

    land qu’on va lire. C’est sous l’impression de ces colères que Madame Roland écrit cette lettre du 26, puis, en pleine panique, elle part (le 29) pour aller veiller sur le Clos, tandis que Roland écrit à Bosc (coll. Morrison) :


    Le 29 juillet 89.

    Ma femme, retardée par le mauvais temps et prête à partir, ce qu’elle vient de faire, a reçu votre expédition du 24 : je venais de vous écrire la missive ci-jointe. Nous avons beaucoup de grâces à vous rendre des petits imprimés que vous nous adressez ; nous les lisons, relisons et faisons lire ; copier même avec transport ; mais vous n’y joignez aucun détail sur l’état actuel des choses, sur les circonstances présentes. Vous ne nous parlez point de cette lettre du comte d’Artois à Flesselles, lettre affreuse, qui fait tant de rumeur dans ce pays ; est-ce qu’elle n’est pas imprimée ? est-ce qu’elle ne serait pas vraie ? Vous ne dites rien de l’intendant Berthier, qu’on nous a dit aussi pris et décapité ; de la rumeur du peuple, qui, dit-on, demandait à grands cris la tête de la reine et celle du comte d’Artois ; des pirates, leurs émissaires, envoyés sur la Méditérranée pour attaquer les bâtiments qui nous apportaient des blés : on dit que ce sont des brigands anglais, sortis des prisons et achetés, à prix d’argent, pour nous affamer.

    Vous ne nous dites rien de ces cinquante millions enlevés au trésor royal pendant l’absence de M. Necker, dont vingt-cinq ont été arrêtés sur la frontière, prenant le chemin de l’Autriche. Enfin ne parlez non plus de ce ministre que s’il ne fût pas de retour. Où est la reine ? Que fait-elle ? Qu’en dit-on ? Est-ce que les princes se sont exilés ? Où sont-ils ? Que font tous ces fameux brigands, ces malheureux scélérats ? Qu’en pense-t-on ? Qu’en dit-on ?

    Nous ne savons rien de tout ce monde : vous ne nous en dites rien, ni en quelle disposition de choses sont les affaires à la Cour et à Paris. Il y a encore de terribles dessous de cartes. Des brigands, soutenus et soldés, sont répandus dans les campagnes et les dévastent : on nous mande qu’il en est une troupe répandue dans le Bugey, qui viennent d’incendier les blés dans les champs des environs de Meximieux : les dragons de Lyon y ont été, ils en ont tué 20 et fait prisonniers 27 ; les autres se sont cachés dans les bois. Mais la chaîne est partout rompue, et, quoique la trame soit très visible, il semble qu’on affecte de n’y rien voir.

    Je persiste dans mon idée : la fougue, l’impétuosité, avec la légèreté, l’inconstance, le peu de tenue en tout, finiront par tout perdre. Il y a beaucoup d’ennemis secrets, qui continuent de miner en dessous, tant qu’on n’abattra pas des têtes, sans réserve du rang ni du nombre. Qu’on juge par contumace et que l’on exécute en effigie celles qui, convaincues du crime, se sont soustraites au châtiment. Plus elles sont élevées, plus elles sont dangereuses, plus il faut mettre haut le prix pour les abattre. Je ne finirais pas de vous dire tout ce que je pense à ce sujet, ni même tout ce que je ferais, si j’en avais le pouvoir.

    Donnez-nous, donnez-nous donc des détails un peu circonstanciés sur les évènements, l’état présent des choses, les craintes, les espérances, et notamment sur celui des objets et des personnages dont je vous ai parlé précédemment.

    Adieu, au courrier prochain.

  1. Cette lettre se trouve au Patriote fran-