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[À BOSC, À PARIS[1].]
Le 26 juillet [1789, — de Lyon]

Non, vous n’êtes pas libre ; personne ne l’est encore. La confiance publique est trahie ; les lettres sont interceptées. Vous vous plaignez de mon silence, je vous écris tous les courriers. Il est vrai que je ne vous entretiens plus guère de nos affaires personnelles : quel est le traître qui en a d’autres aujourd’hui que celles de la nation ? Il est vrai que je vous ai écrit des choses plus vigoureuses que vous n’en avez faites ; et cependant, si vous n’y prenez garde, vous n’aurez fait qu’une levée de boucliers. Je n’ai pas reçu non plus la lettre de vous que notre ami Lanthenas m’annonce. Vous ne me dites point de nouvelles, et elles doivent fourmiller. Vous vous occupez d’une municipalité, et vous laissez échapper des têtes qui vont conjurer de nouvelles horreurs.

Vous n’êtes que des enfants ; votre enthousiasme est un feu de paille, et si l’Assemblée nationale ne fait pas en règle le procès de deux têtes illustres, ou que de généreux Décius ne les abattent, vous êtes tous f…

Si cette lettre ne vous parvient pas, que les lâches qui la liront rougissent en apprenant que c’est d’une femme, et tremblent en songeant qu’elle peut faire cent enthousiastes qui en feront des millions d’autres[2].

  1. Bosc, IV, 130 ; Dauban, II, 573.
  2. Pour se rendre compte du ton exaspéré de cette lettre, il faut en considérer la date. On venait d’apprendre presque coup sur coup le renvoi de Necker, la prise de la Bastille, la capitulation du roi ; on osait à peine croire au triomphe, on annonçait de partout de nouveaux complots de la Cour. Les plus modérés, parmi les partisans de la Révolution, réclamait le châtiment des auteurs du coup d’État manqué. À quelques lieues de Lyon, à Bourg-en-Bresse, la municipalité demandait au roi (20 juillet) « de poursuivre ceux qui l’ont trompé… ; que leur procès soit fait par l’Assemblé… qu’un exemple terrible garantisse à jamais les rois et les peuples du plus grand crime dont les hommes puissent se rendre coupables… ». Comme l’a très bien fait remarquer l’historien de la Bresse (Ch. Jarrin, Bourg et Belley pendant la Révolution, p. 313), « ceux qui sont désignés là, ceux qui ont trompé Louis XVI, c’est la reine, ce sont les frères du roi ». Et les signataires de la pièce sont tous de la haute bourgeoisie du pays ! La-dessus, commence la terreur des campagnes, la grande peur ; c’est le 25 qu’on apprend à Bourg, le 26 à Mâcon, l’incendie des châteaux, l’arrivée des mystérieux brigands ; le même jour, ces nouvelles arrivent à Lyon, en même temps que circulent, sur les complots des aristocrates à Paris, les bruits les plus étranges, les plus effrayants, dont on jugera par la lettre inédite de Ro-