Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1010

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jors, etc… L’aristocratie, qui d’abord osait débiter que la lettre de Valence était une invention de M. Roland et d’un autre patriote pour soulever le peuple, a pris la mine allongée ; mais les marchands font enregistrer tous leurs commis jusqu’au dernier, pour en faire des citoyens actifs qui influent sur les élections. Cette ruse est jugée ; il faut espérer qu’on se tiendra en garde contre ses effets et qu’on prendra des mesures pour les prévenir. En attendant, la municipalité, toujours corrompue, a fait arrêter le récit exagéré, il est vrai, de la conspiration, et emprisonner des colporteurs qui le débitaient ; du moins en est-elle accusée dans le peuple et peut-on la présumer coupable de ce nouveau délit contre la liberté de la presse. Il est impossible que la révolution ne s’achève pas ; les atteintes que ses ennemis cherchent à lui porter ne servent qu’à l’assurer.

Vous aurez vu avec douleur le peu de vigilance des patriotes de l’Assemblée pour soutenir la motion contre les ministres ; mais, d’autre part, leur dépit d’avoir été joués paraît avoir rappelé leur vigueur. Il n’y a que ces maudits comptes qu’on ne peut obtenir. Il me semble qu’il faudrait faire une adresse bien frappée, où l’on ferait sentir que le salut de l’empire, le succès de la Constitution et la confiance publique sont attachés au bon ordre des finances, à la responsabilité déterminée des ministres, où l’on réclamât avec la plus grande vigueur et l’énergie la plus imposante l’établissement de l’un et de l’autre. Une telle adresse, adoptée par une société des Amis de la Constitution, envoyée à toutes et présentée en leur nom à l’Assemblée nationale pourrait produire un grand effet.

Malgré les vœux des méchants, le ciel favorise la France, et le meilleur temps a présidé aux semailles, de manière qu’on peut encore espérer une bonne récolte pour l’année prochaine. Mais tout annonce l’approche de la saison rigoureuse. Les vignes commencent à se dépouiller, la tête jaunissante des bois d’Alix montre les livrées de l’automne, les brouillards s’élèvent de nos vallons silencieux, et des pluies fréquentes nous obligent de garder la maison. Nous avons repris le travail, et je n’attends qu’un jour favorable pour aller remettre Eudora au milieu des jeunes compagnes dont l’exemple lui est utile[1].

Nous tournons quelquefois les yeux vers les montagnes qui vous séparent de nous ; pour des amis éloignés, ce sont les Montagnes bleues du sauvage Américain… Si la distance doit se mesurer par le temps nécessaire pour rece-

  1. Eudora Rolan, après avoir été en pension à Lyon chez Frossard, en 1789, avait été confié, en 1790, au couvent de la Visitation Sainte-Marie, à Villefranche.