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demande le seront à la fin de février au plus tard. Voilà un cinquième de cet avoir de dissipé sans payer une obole. S’il survient le moindre évènement extraordinaire, comme guerre de terre ou de mer, et même si l’Assemblée s’amuse à baguenauder comme elle fait, si le royaume continue à perdre dans son commerce 50 à 60 millions par balance soldés en argent, si l’impôt est refusé, retardé, modifié, comme il y a toute apparence, si enfin les colonies nous échappent et ne nous envoient pas directement leurs denrées, si la misère continue de régner dans les villes par défaut de consommation, et dans les campagnes par défaut de bras et de bestiaux, tout est perdu, la banqueroute la plus affreuse est assurée.

Je vois dans l’assemblée beaucoup d’esprit partiel, et pas un caractère d’ensemble. M. de Montesquiou, depuis qu’il calcule, s’est toujours trompé. M. Necker, au lieu de l’aider, s’est tenu orgueilleusement dans son coin et l’a sans cesse harcelé par de nouvelles demandes. Peu à peu, il a retiré ses fonds, dégagé sa maison de banque, et il n’a tenu qu’à lui d’y joindre la valeur de ses bâtiments. Il a pris le parti le plus sûr : j’en aurais fait autant. Mais, auparavant, j’aurais exposé les dangers futurs par les passés, et je me serais amplement justifié par là. Quoi qu’il en soit, l’imposition commence à paraître et à être distribuée à Paris. Le mumure est général. Le marchand détailleur est quadruplé. Ce n’est pas du bonheur. La récolte annuelle du vin a été estimée à 400 millions, puisque le comité a estimé à la vingt-cinquième partie ce droit, et que de là il devait en revenir au trésor public 16 millions. Cette motion a été ajournée à huitaine.

Calculez et distrayez ces dépenses ; plus, les pensions du clergé, les risques de l’impôt, les dépenses de l’armée de terre et de mer, la position des colonies, la liste civile, les évènements imprévus, la guerre peut-être, la perte, je le répète, de la balance du commerce : concluez et tremblez. Quant à moi qui n’ai que mes sentiments intérieurs et mon expérience, je vous avoue que je n’ai jamais vu le danger plus près, le gouffre plus effrayant, et la nation plus proche de sa ruine totale. J’en ai été agité toute la nuit… Dieu veuille que M. Necker ne finisse pas par avoir raison.


N.B. Un ami, imposé l’anné dernière à 
 42 livres,
l’a été celle-ci à 
 180          

P.S. Que deviendront les boutiques si chères du Palais-Royal ? etc. ; quatre pages d’etcetera.

Cette lettre est destiné pour H. Bancal, un de nos amis, qui, avec un billet de moi, vous ira voir demain soir. Veuillez la lui remettre[1].

Je vous embrasse tous.


Louis Bosc.
8 novembre 1790.
  1. Ces lignes, de l’écriture de Bosc, ont été évidemment ajoutées par lui pour un de ses collègues au bureau des postes.