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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1026

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tries[1] a commencé une sorte de révolution qui doit s’achever par un décret contre ce barbare et féodal usage. Il y avait eu partie faite pour engager les patriotes à se couper la gorge ; plusieurs d’entre eux furent insultés par des ferrailleurs dans le même temps qu’un Chovigny[2] provoquait Lameth à se battre ; celui-ci refusa deux jours, mais Castries s’étant prévalu de ce noble refus pour le plaisanter et le pousser à bout, il eut la faiblesse de céder ; il fut blessé. Le peuple irrité dévasta l’hôtel de Castries ; en exécutant cette vengeance, il développa ce mélange de colère et de modération, de violence et de désintéressement qui fait rugir ses ennemis et que ses partisans mêmes n’admirent peut-être pas assez. Les meubles, les glaces, les effets les plus précieux étaient mis en pièces et jetés par les fenêtres, et des hommes couverts de haillons déchiraient à pleines mains des assignats en s’écriant : « Autant de gagné pour la nation ! » On déchirait de superbes tableaux, et un portrait du Roi, fêté et respecté, fut élevé en place apparente, exposé à la vénération de tous. Ces terribles exécuteurs se faisaient fouiller en sortant, pour prouver qu’ils n’emportaient rien ; ils arrêtèrent eux-mêmes quelques voleurs qu’ils trouvèrent saisissant de l’argenterie.

Racontez ces faits à ces braves Bretons, qui étaient dans le temps de Tacite donati all’ubidire, ma non all’esser schiavi, et dont l’âme fière doit se plaire à reconnaître la vigueur et la générosité de leurs voisins trop longtemps ennemis. Les sections de Paris ont député vers Lameth pour lui reprocher sa complaisance et lui remontrer ses devoirs ; des sociétés d’Amis de la Constitution ont fait des adresses à l’Assemblée nationale pour obtenir un décret contre les duels.

La pétition d’Avignon, qui s’offrait à la France, n’a pas été accueillie avec la franchise des vrais principes et la loyauté qui convient à des hommes libres : on n’a fait qu’un tour de passe-passe, on a ajourné la question et chargé le

  1. Le duel de Ch. de Lameth avec le maréchal de Castries est du 12 novembre 1790.
  2. « Lors des élections par les États généraux, Charles Lameth eut une altercation avec un officier, nommé Blot de Chauvigny, auquel il faisait obsever qu’il n’avait pas l’âge requis pour l’élection. Lameth avait oublié cette affaire, lorsque, environ deux ans après cet officier s’avisa de lui en demander raison… Lameth répondit au provocateur : « Vous avez attendu vingt-deux mois, vous attendrez bien encore la fin de la législature… » Mém. de Brissot, III, 179.) Cet incident n’en fut pas moins le point de départ du duel de Lameth et de Castries. — Voir au Mémoires de Brissot, ibid, 181, une note curieuse de l’éditeur sur le rôle de Chauvigny en 1814, à la fois proviseur impérial du lyccée de Dijon et agent secret de Louis XVIII.