Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1071

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ou ambitieux qui espèrent davantage de la faveur que de leur propre mérite, et dont les passions s’irritent de la concurrence qui règne dans un état parfaitement libre. Vous jugez combien le ministère fomente ces dispositions et est habile à profiter d’elles. Joignez à cela un tas de bûches à dix-huit francs par jour, qui n’entendent pas toujours la question sur laquelle elles sont appelées à voter ; il ne reste du bon côté que ces Jacobins, affaiblis et par les défections et par la perte de leur crédit dans le public ; perte qu’ils doivent à la trop grande influence qu’ils ont laissée sur eux aux Lameth, jugés actuellement comme des ambitieux et de mauvaises têtes, que l’affaire des colonies a démasqués ainsi que Barnave.

Voilà ce qu’il me semble de l’état actuel de l’Assemblée ; il est très affligeant pour de vrais patriotes, et si ma curiosité a été alimentée en suivant ses séances, mon cœur s’est souvent indigné de ce qui s’y passait.

Vous ne sauriez vous représenter l’indécence avec laquelle on a violé le principe de l’organisation du trésor public ; la nomination de ses administrateurs était résolue devoir être donnée au Roi, par tous les Impartiaux, avant que la discussion fût entamée ; l’impatience se manifestait ouvertement à l’exposé des bonnes raisons qui combattaient ce système ; on interrompait, on a presque hué Robespierre et Rœderer qui les déduisaient avec courage, et l’on a visiblement précipité le décret, de peur que l’opinion publique, qui n’était pas éclairée sur cette matière, ne se mûrit par la discussion[1]. Maintenant, qui croyez-vous que la cour portera à ses places de finance ? Lafayette le demandait dernièrement à Delessart[2] ; mais, répondit ce dernier, il faudra bien dédommager par elles les personnes précédemment employées dans les affaires de ce genre, et qui ont fait quelques pertes par la Révolution. Ainsi nous allons retomber dans les mêmes mains qui servaient à nous dévorer.

Il ne parait pas actuellement que nous ayons autant à redouter de l’Allemagne qu’il a semblé durant quelques instants ; ceux de ces princes, proprié-

  1. C’est la première fois que le nom de Robespierre se trouve sous la plume de Madame Roland. Ainsi que nous allons le voir, et comme Madame Roland nous l’apprend elle-même (Mém., I, 58, et passim, et cahier Brissot inédit), il devint un des habitués, quoique « peu assidu », du petit salon de la rue Guénégaud.

    Rœderer, alors député de Metz, est trop connu par son rôle sous la Révolution et sous l’Empire pour que nous lui consacrions une notice.

  2. Antoine de Valdec de Lessart, Contrôleur général des finances (décembre 1790-janvier 1791), Ministre de l’Intérieur (janvier-décembre 1791), massacré à Versailles le 9 septembre 1792 parmi les accusés de la Haute-Cour d’Orléans.