Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1075

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Il est très vrai que le train des choses dans la capitale, l’agitation où y vivent nécessairement ceux qui sont chargés de quelques affaires ou travaux, l’incertitude où nous sommes encore à quelques égards pour le salut public, emploient les facultés et se refusent à ces méditations calmes et profondes qui enfantent les vastes projets et embrassent dans leur étendue le bonheur du genre humain. Vous êtes dans une situation différente. Sorti du tourbillon dont la force entraîne avec lui tout ce qui se trouve dans sa sphère d’activité, vous portez au loin vos regards, vous maîtrises vos pensées, et l’expansion de votre amour pour le bien de vos semblables ne connaît point d’obstacles.

Il vous faudrait ici des correspondants, solitaires comme vous au milieu du monde ; mais tous nos amis ont la main à l’œuvre ; l’action les emporte malgré eux, et chaque jour suffit à peine à l’obligation qu’il impose.

Je suis allée vendredi au Cercle social ; j’ai été très satisfaite de la séance ; j’y ai entendu déduire, avec force, chaleur et clarté, les plus grands principes de la liberté ; je les ai vu applaudir avec transport ; l’abbé Fauchet, que les patriotes mêmes taxent trop légèrement d’exaltation et d’imprudence, m’a paru un excellent et vigoureux apôtre de la meilleure doctrine.

On a lu une motion qui a pour objet d’établir à Londres un cercle des Amis de la vérité à l’instar de celui de Paris ; cette motion a été accueillie ; l’assemblée a arrêté que son directoire choisirait quatre de ses membres, qui seraient chargés de la recherche des moyens. Les motifs dont cette motion était appuyée, les vues dont elle était accompagnée, m’ont paru rentrer parfaitement dans celles que vous aviez exposées, et j’ai trouvé de la justesse dans la réflexion de G. [Garran] que cela m’a rappelée. Ma première idée a été d’écrire au président pour vous indiquer comme l’homme le plus propre à tous égards à favoriser cet établissement à Londres et à lui donner la meilleure forme. Je suis rentrée chez moi avec la résolution d’agir en conséquence, mais j’ai voulu m’entretenir du Cercle social et connaître l’opinion sur cette société ; je lui ai entendu reprocher des vues de mysticité qui la discréditaient dans l’esprit de bons citoyens et d’hommes sages ; sans ajouter foi à cette inculpation, j’ai craint de faire une chose qui ne conviendrait pas en vous nommant sans votre aveu et vous indiquant à des personnes dont les relations pourraient n’être pas ce qu’elles m’avaient semblé devoir être ; je me suis contentée de communiquer le tout à Brissot pour le remettre à son jugement et à ses soins ; j’ignore ce qu’il en a pensé.

Vous aurez vu, par mes précédentes, ce que je juge de la chose publique ;