primer pour te prouver que, si je ne t’ai point écrit avant mon départ de Paris, ce ne fut que le défaut de temps qui me força au silence ; mais je te crois toujours assez mon amie pour n’avoir pas besoin de justification lorsqu’il s’agit de mon cœur et de ses dispositions à ton égard. Je pourrais ajouter peut-être avec chagrin que ta conduite autoriserait d’ailleurs assez la mienne, puisque, sans avoir autant d’affaires que moi, tu me donnes de tes nouvelles aussi rarement que tu reçois des miennes. Brisons-là ; tu m’as fait dire quelques-unes de tes raisons par notre sœur, et je n’ai pas perdu la foi à ta sincérité. Je suis partie le 1er de septembre, par un temps admirable, dont l’extrême chaleur rendit le voyage pénible. Courir jour et nuit, ne guère dormir, suer à toute heure et trouvant à peine celle de digérer, c’est la vie que nous menâmes jusqu’à Chalons[1] où nous montâmes sur la diligence d’eau. Cette voiture me parut charmante par sa tranquillité et tous les agréments de la navigation. La Saône est douce, pure et délicieuse dans ses rivages, surtout lorsqu’on vient à découvrir les riches coteaux du Beaujolais. Jamais la nature ne fut plus riante, plus belle, plus fertile et mieux secondée. À une demi-lieue de Villefranche[2], devant laquelle nous passâmes tout droit, nous trouvâmes un des beaux-frères qui venait nous accompagner à Lyon. Je passai quatre jours dans cette ville, dont la situation pittoresque, les quais magnifiques, le superbe Rhône, la richesse et la population font une ville agréable, intéressante et considérable. Le spectacle, quelques édifices, les belles promenades, des amis, des parents à voir, employèrent bien notre temps. J’arrivai le 9 à Villefranche, au sein d’une famille respectable et considérée, qui m’accueillit de la manière la plus touchante. La maman, vive, de bonne santé, âgée de plus de quatre-vingts ans, pleine de gaîté, de mœurs austères pour elle et faciles avec les autres, me reçut avec attendrissement, revit son cher fils, que tous les siens accueillirent comme elle, avec le témoignage de la plus grande satisfaction. Après les visites et le brouhaha des premiers instants, nous nous sommes sauvés à la campagne[3], où nous nous livrons en écoliers aux plaisirs de la vie champêtre assaisonnée par tout ce que peut y joindre l’union, l’intimité des plus doux liens, de la confiance aimable et de la franche amitié. J’ai trouvé des frères à qui je puis vouer tous les sentiments que ce titre est fait pour inspirer, et je partage avec
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