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Le mercredi, 6 avril.

Assurément, l’union des hommes éclairés pour développer et répandre les principes nécessaires à la perfection des sociétés est un grand moyen de hâter cette perfection et de travailler au bonheur de l’humanité. Ne perdez pas de vue cette union désirable et le généreux projet de la former. Vous trouverez beaucoup d’obstacles ; j’en juge par l’extrême difficulté que je vois à rapprocher fructueusement un petit nombre d’hommes de mérite. Cependant je crois que la société dont je viens de vous parler se formera, et peut-être même qu’elle aura ses séances au lieu de notre demeure actuelle[1]. Si elle peut s’asseoir, ce sera le cas de mettre votre projet sur le tapis et de le lui faire goûter. Je doute pourtant que cela puisse se réaliser avant votre retour, de manière à ce que vous puissiez lier les choses avec vos Anglais ; mais la correspondance que vous conserverez avec ceux-ci pourra vous servir à opérer de loin ce que vous n’aurez pu que préparer en personne. Quant au Cercle social, je ne passerai point deux jours sans qu’il ait une lettre capable de le porter à agir avec vous, s’il a de l’énergie et de l’activité. Je lui ai écrit déjà dans une autre circonstance, sans me nommer toutefois, car je ne crois pas que nos mœurs permettent encore aux femmes de se montrer ; elles doivent inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie, mais non paraître concourir à l’œuvre politique. Elles ne peuvent agir ouvertement que lorsque les Français auront tous mérité le nom d’hommes libres ; jusque-là notre légèreté, nos mauvaises mœurs rendraient au moins ridicule ce qu’elles tenteraient de faire, et par là même anéantiraient l’avantage qui, autrement, pourrait en résulter.

Il me paraît bien, par la disposition des affaires publiques et votre marche particulière, que vous ne devez plus beaucoup tarder de revenir. Peut-être serons-nous encore ici. On doit incessamment faire le rapport contre les inspecteurs. La question de la faculté de tester est ajournée. Le bon parti a été forcé de prendre cette tournure pour éviter un mauvais décret. Mais il est à craindre qu’un beau jour, au commencement de quelque séance où les aînés se verront en force, ils ne parviennent à faire passer une décision conforme à leurs préjugés.

Adieu encore.

  1. Voir Mémoires, I, 57, et cahier inédit intitulé Brissot, sur les réunions qui se tenaient chez Madame Roland « quatre fois la semaine, après la séance de l’Assemblée et avant la séance des Jacobins », et auxquelles assistaient Pétion, Buzot, Robespierre, Brissot, Clavière, Louis de Noailles, Volfius, Antoine, etc… sans oublier Lanthenas.