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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1101

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L’Angleterre a certainement grand intérêt que les principes de philanthropie universelle, les principes démocratiques par conséquent, triomphe ici et s’établissent solidement. Si leurs ennemis parvenaient à les étouffer, si l’on réussissait à faire prédominer la monarchie il est certain que celle-ci, pour s’affermir en entretenant la guerre et par l’effet de la force que la liberté lui aurait restituée, écraserait bientôt l’Angleterre, — ce qui n’arrivera jamais si la liberté s’établit dans toute son étendue. Mais s’il reste dans la Constitution des défauts essentiels à cet égard, il est impossible, si les peuples s’y soumettent, que la force du pouvoir exécutif ne les aveugle et ne les conduise bientôt à tout ce qu’il voudra, pour peu qu’il soit habile. Sous ce rapport, les Amis de la liberté, en Angleterre, devraient se réunir pour fournir des moyens à ceux de France de faire triompher les bons principes, et je ne crois pas qu’on dût craindre de leur dire que ce soin serait digne d’eux.

Je[1] crois au contraire, aujourd’hui, que ce n’est plus que par des associations générales qu’on peut effrayer, poursuivre et terrasser le despotisme ; il faut l’attaquer de toutes parts pour l’extirper de chez nous-mêmes. Nous voudrions en vain perfectionner notre liberté si nous n’excitons pas tous nos voisins au même culte. Je n’aurai jamais le courage de vous écrire tout le mal que je pense de notre Assemblée, je suis dégoûtée d’aller à ses séances et je suis intimement convaincue qu’elle ne saurait plus faire que de mauvais décrets. Il nous faudra une nouvelle insurrection, ou nous serons perdus pour le bonheur et la liberté ; mais je doute qu’il y ait assez de vigueur dans le peuple pour cette insurrection, et je vois les choses livrées aux hasards des événements. Dans tous les cas, ce serait folie que de s’attendre à la paix ; nous sommes voués aux troubles pour toute cette génération, et ils nous seront moins funestes que ne pourrait l’être la sécurité. L’adversité forme les nations comme les individus, et la guerre civile même, tout horrible qu’elle soit, avancerait la régénération de notre caractère et de nos mœurs. Il faut être prêt à tout, même à mourir sans regrets, car du sang des honnêtes gens jailliraient la haine puissante des passions qui l’auraient fait répandre et l’enthousiasme des vertus dont ils auraient donné l’exemple. On brûle le pape au Palais-Royal[2], et l’on reconnaît à l’Assemblée ses prétendus droits sur Avignon[3] ; cependant le Comtat est livré à tous les déchirements d’une guerre civile et religieuse, et

    à l’abolition de la traite de nègres, pour lesquels il avait fondé, en mai 1787, la Société des Amis des Noirs. C’est par Brissot que Bancal lui avait été adressé (voir Mém. de Brissot, t. III, p. 2 et suiv.).

  1. Cette suite est de Madame Roland.
  2. Le mardi, 3 mai, on avait brûlé le pape en effigie au Palais-Royal.
  3. Le 4 mai, l’Assemblée avait rejeté un projet de décret portant qu’Avignon et le comtat Venaissin « feraient partie intégrante de l’empire français. »