Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1113

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C’est ici, comme chez nous, la finance qui demeure la plus embrouillée ; elle n’est encore qu’un chaos, et nous serons encore perdus si l’Assemblée prochaine n’est composée d’hommes laborieux, fermes et incorruptibles. L’agiotage a pénétré dans l’Assemblée actuelle ; c’est une fange qui fait horreur. Que voulez-vous qu’on obtienne de gens qui ne veulent point accroître les charges apparentes, parce qu’ils craignent d’exciter l’envie de fouiller avec eux dans les secrets qu’ils ont su se réserver ? Notre Comité des finances est tout pourri ; la sottise règne dans la plupart de ceux où la friponnerie n’est pas. Ou n’ose point, on ne peut point crier cela sur les toits, dès que l’Assemblée est assez faible pour le souffrir et que le peuple est trop aveugle pour le juger. Il faut des hommes nouveaux et d’honnêtes gens ; voilà maintenant la grande affaire.

Je ne m’étonne guère de la vengeance de vos oncles ; elle est digne de l’aristocratie et s’accorde parfaitement avec ce que je connais du caractère de celle-ci dans les individus qui en sont atteints. C’est un bien qu’elle ait ce moyen de s’assouvir ; car, dans son excès, il n’est rien dont elle ne fût capable. Je vous en fais mon compliment, et vous en aime tous deux davantage ; votre exemple en cela même rendra vos enfants meilleurs et plus heureux que n’eût fait l’héritage dont on les prive ; et, en vérité, quand on a une patrie, avec le sentiment de ce qu’elle vaut, on a bien moins besoin d’or ; il est la consolation des esclaves, qui ne peuvent qu’avec lui se procurer des jouissances ; des citoyens savent bien d’autres moyens de parvenir au bonheur ; l’estime publique et les mœurs privées le leur assurent. C’est à ce titre que vous ne pouvez le manquer.

Recevez, avec Madame Champagneux, les affectueux embrassements de celle qui vous honore et vous chérit de tout son cœur.