Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1127

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l’autre à Clavière ; j’espère que vos lettres n’achèveront pas le trio. La préoccupation de Brissot est extrême ; ses travaux habituels, sa propre vivacité, la variété des circonstances de chaque jour la rendent toujours très grande ; les élections y ajoutent tout ce qu’il est possible d’imaginer. Il est électeur, malgré les pamphlets répandus contre lui au moment des assemblées primaires ; nous ne pouvons songer à l’intéresser pour votre projet ; il n’y a pas encore foi ; il ne juge propres à la chose ni Williams, ni Clarkson. Ce n’est pas une raison d’abandonner l’idée de l’amener un jour à y concourir lui-même ; mais il faut le temps, le choix du moment et votre présence. J’ai eu occasion d’observer, depuis mon séjour ici, que les difficultés d’opérer le bien étaient encore beaucoup plus grandes que les hommes, même réfléchis, ne sont portés à l’imaginer : car on ne saurait faire le bien, en politique, que par une réunion de soins et d’efforts ; et il n’est rien de si rare, de si difficile que de lier des volontés pour tendre à un même but par une marche constante. Il est un égoïsme d’amour-propre aussi funeste que celui de l’intérêt ; chacun ne croit à la bonté que de son système et de son mode ; on s’irrite ou on s’ennuie de celui d’autrui, et faute de savoir se plier à une allure un peu différente de la sienne, on finit par marcher tout seul sans atteindre à rien de bien utile pour l’espèce. Depuis plus d’un siècle, la philosophie prêche la tolérance ; elle, a commencé de s’établir dans quelques esprits ; mais je ne la vois guère encore dans les mœurs. Je pense qu’à cet égard vous aurez fait en Angleterre un cours infiniment avantageux ; la diversité des opinions religieuses y maintient des oppositions dont vous avez senti la force et que vous avez eu à éviter dans vos tentatives ; vous trouverez chez nos têtes françaises des oppositions tout aussi multipliées, quoique les préjugés religieux n’y soient pour rien. Nos beaux esprits ont plaisanté de la patience comme d’une vertu négative ; j’avoue qu’elle

    miers, avec elle, à demander la République. Dès le 19 décembre 1790, le Patriote français annonçait : « Le républicanisme adapté à la France par F. Robert, membre de la Société des Amis de la Constitution de Paris, in-8o de 14 pages ». Cf. Aulard, Histoire politique de la Révolution française. Membre du club des Jacobins et du club des Cordeliers, compromis dans l’affaire de la pétition du Champ-de-Mars, il fut député de Paris à la Convention.


    Madame Roland, dans ses Mémoires (I, 163-171), traite fort mal Robert et sa femme.

    Dans la séance des Jacobins du 17 décembre 1792, Robert prononça contre Roland un long discours qui, disent Buchez et Roux, « est l’acte d’accusation le plus complet qui ait été dressé contre Roland et son parti ». (Discours sur l’état actuel de la République, Lille, 1792, 31 p. in-8o) — Cf. Aulard, Jacobins, IV, 595.