J’allai aux Jacobins[1] ; ils étaient aussi nombreux, et la séance commença aussi solennellement que la veille ; je ne sais si je vous avais dit qu’on y avait renouvelé, avec un transport inexprimable, genou en terre, épée nue a la main, le serment de vivre libre ou de mourir. Cet élan n’était rien en comparaison de l’intrépidité franche et gaie de tout le peuple ; mais le jeu couvert de 89 et l’agence des ministres, et [la vue de ce faquin de Lafayatte[2]], répandaient l’inquiétude. Tout à coup arrivent courriers sur courriers, apportant la nouvelle que le Roi et sa femme avaient été arrêtés par une petite municipalité des frontières de la Champagne et de la Lorraine, celle de Varennes, près Stenay ; le zèle et le danger ont appelé de proche en proche trente à quarante mille gardes nationales qui environnent Châlons-sur-Marne où l’on a amené nos grands brigands. Que fera-t-on d’eux ? C’est un problème curieux à résoudre. Il me semble qu’il faudrait mettre le mannequin royal en séquestre et faire le procès à sa femme. Mais notre Assemblée ne vaut rien pour cela. Hâtez-vous de finir vos élections, et que tout l’empire demande la nouvelle législature, elle sera le sceau nécessaire ; si celle-ci se prolonge, elle finira par nous trahir nous-mêmes, nous vendre à la Cour, ou se rendre sénat aristocratique. Il faudrait profiter de ces grands mouvements pour appeler tous les citoyens à l’activité, pour réformer enfin les vices de notre Constitution… Je suis pressée et je quitte à regret… Mais, tant que la paix avait duré, je m’en étais tenue au rôle paisible et au genre d’influence qui me semblent propres à mon sexe ; lorsque le départ du Roi a déclaré la guerre, il m’a paru que chacun devait se dévouer sans réserve ; je suis allée me faire recevoir aux Sociétés fraternelles[3], persuadée que le zèle et une bonne pensée peuvent être quelquefois très utiles dans les instants de crise.
Je ne sais pas me tenir chez moi et je vais voir les braves gens de ma connaissance pour nous exciter tous aux plus grandes mesures. La scène change encore une fois ; il faut songer maintenant à quelque instruction à faire et à répandre.
Donnez-nous de vos nouvelles. Je ne sais si mes précédentes vous seront parvenues, car nous avions tout à suspecter et à craindre des chefs de bu-
- ↑ Voir dans Aulard, Jacobins, II, 538-544, le compte rendu de cette séance.
- ↑ Les mots entre crochets ont été biffés sur l’autographe, et rétablis de la main de Henriette Bancal.
- ↑ Probablement à la « Société fraternelle des Patriotes des deux sexes, séant aux Jacobins ». — Voir, sur ces Sociétés, Tourneux, 10023-10049, et Aulard, Jacobins, Table générale.