Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1159

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nouvelle fuite. Dix mille âmes s’étaient rassemblées au Champ de Mars pour y signer sur l’autel de la patrie une pétition dont l’inutilité ne les a pas découragées. Dès que la nouvelle du décret a été rendue, on s’est porté vers tous les spectacles pour les faire fermer dans ce moment de deuil universel, et les Sociétés patriotiques se sont mises dans la plus grande activité. On a proposé aux Jacobins[1] une mesure à laquelle la tournure du décret laisse lieu : car ne prononçant pas le mis hors de cause, on suppose du moins que le Roi demeure dans le même état de suspension ; donc il est encore temps de dire qu’il ne doit pas en sortir et d’exprimer sur cela un vœu général. On a chargé six commissaires, du nombre desquels sont Brissot et Lanthenas, de rédiger ce matin une pétition[2] qui aura pour objet d’exprimer ce vœu sur ce qu’il convient de faire de Louis XVI et sur le renouvellement prochain de la législature ; la pétition sera portée au Champ de Mars, des milliers d’exemplaires en seront répandus à Paris et dans tout l’empire pour être revêtus de signatures dont la Société fera le relevé pour présenter cette pétition avec l’authenticité la plus imposante et la preuve d’une généralité que l’Assemblée ne puisse révoquer en doute. Comme on délibérait à ce sujet, sur les onze heures une députation du peuple, assemblé au Palais Royal dans un nombre prodigieux, est venue remplir la salle et solliciter la Société de se rendre au Champ de Mars pour y jurer de mourir plutôt que de reconnaître jamais un Roi dans le perfide Louis XVI. Mais cette proposition a fait place au projet qui l’avait précédé, dont on a instruit la députation et qu’elle a accepté. On agit actuellement pour le réaliser ; mais, au moment où je vous parle, on ne

  1. Voir, sur cette séance des Jacobins du 15 juillet, Aulard, Jacobins, t. III, p. 14-20. — Cf. Mém. de Brissot, IV, 342-344, « Projet de défense devant le Tribunal révolutionnaire en réponse au rapport d’Amar ».
  2. D’après Brissot, il y aurait eu deux pétitions différentes : 1° l’une, rédigée par lui, dans la matinée du 16, au nom d’une commission de six membres dont faisaient partie Laclos, Réal et Lanthenas (Les Mém. de Brissot disent Lanthunat, mais c’est une faute d’impression évidente), et que Laclos aurait aussitôt portée aux Jacobins, mais après y avoir ajouté de son chef une phrase demandant à mots couverts un changement de dynastie ; 2° une autre, rédigée au Champ de Mars, le 17, par Robert et Bonneville, et c’est celle là qui aurait été signée sur l’autel de la patrie. Nous n’avons pas à discuter ici le détail des circonstances, parfois contradictoires, de ces journées de 15, 16 et 17 juillet. Bornons-nous à constater que le récit de Brissot concorde avec ce qu’écrit Madame Roland dans ses deux lettres du 16 et du 17 et avec ce qu’elle écrira plus tard dans ses « Observations rapides sur l’acte d’accusation des députés par Amar » (Mém., I, 293.)