Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voit et n’entend que détachements et tambours des gardes que le commandant répand de tous côtés. La cavalerie est toute royaliste ainsi qu’une grande partie de la troupe soldée et quelques compagnies de citoyens. Il a été fait une dénonciation terrible par un capitaine du bataillon de Popincourt, brave officier, précédemment garde-française, chez qui, le 14 juillet, à plus de onze heures du soir, se sont transportés deux officiers aides-majors, qu’il nomme, pour le sonder et le prévenir, avec invitation et menaces, sur ce qu’on préparait pour le 15 au cas d’insurrection contre le décret qui devait se rendre. L’usage de la violence était résolu : en conséquence, on ordonnait les dispositions des bataillons dont on connaît les sentiments contraires, et l’on s’attendait à mettre la capitale à feu et à sang, à faire s’entre-déchirer les gardes nationales et les citoyens, et à ménager dans ces horreurs le triomphe des royalistes, ainsi que la perte de leurs adversaires les plus redoutables.

La dénonciation du brave capitaine est très bien faite et circonstanciée ; il s’était hâté, dès le grand matin du 15, de la rédiger et de la faire remettre à la Ville par des commissaires de sa section, puis de la communiquer à la Société des Némophiles (sic)[1], qui vint en faire part aux Jacobins ; ceux-ci se dispersaient alors, il était près d’une heure du matin ; on n’a point pris de délibération sur cet objet ; chacun regagnait ses foyers, j’ai fait comme les autres et j’emploie à vous écrire les premiers moments de ce jour.

Nos amis ont dit hier positivement à Brissot qu’il fallait livrer à l’impression vos réflexions, en lui faisant quelques reproches de ne l’avoir pas encore fait[2]. Il est toujours temps de répandre la lumière ; quand elle ne prévient pas les maux, elle donne le moyen de les réparer. Mais, en vérité, on est ici dans une préoccupation dont l’effet nuit quelquefois au zèle même qui la produit ; événements, circonstances et journées se succèdent avec une effroyable rapidité.

Adieu ; faites de votre mieux ; nous ne restons pas ici dans l’inaction.

Dans le doute que Bosc soit à son bureau et ne voulant manquer le courrier, j’expédie directement.

  1. Sur la société des Nomophiles, « composée des deux sexes », séant au marché Sainte-Catherine, voir Tuetey, III, 3054, 3055, et Aulard, Jacobins, séances des 27 juillet 1791, 10 février et 23 mars 1792.
  2. Secondes réflexions sur l’institution du pouvoir exécutif, par Jean-Henri Bancal, lues à la Société des Amis de la Constitution de Clermont-Ferrand, le 3 juillet 1791, Clermont, 24 pages in-8o. — Cf. le début de la lettre 440.