Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1166

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pour s’accorder à interdire au public la justice qu’ils aiment à faire rendre les uns aux autres.

Je vous ai prévenu ce matin du projet de la Société des Feuillants de ruiner les Jacobins et de s’attacher leurs affiliés ; le but est le même, mais les batteries sont déjà changées. On a senti qu’une scission et les démarches subséquentes proposées auraient des difficultés et produiraient de mauvais effets ; on a résolu de faire, au contraire, une apparente réconciliation ; tout le parti s’entendra pour venir aux Jarobins y capter la tourbe, soutenir ses partisans, dominer enfin, et régir tellement la Société, que les vrais amis de la Constitution soient réduits à la déserter ou à s’imposer silence. Cette marche est infiniment adroite : dejà, pour la préparer, ils ont fait insinuer par l’hypocrite Feydel[1] qu’il conviendrait au bien public et à la paix que les Jacobins envoyassent une députation aux Feuillants pour les inviter à la fraternité. Cette lâcheté, pour ceux qui s’y soumettraient, a fait quelque fortune ; et je ne serais pas qu’à l’heure où je vous parle, les fripons ne tiennent les dupes dans leur piège. Si ces projets avortent, ils ont d’autres combinaisons pour enchaîner l’opinion, car ils veulent subjuguer les clubs ou les anéantir. C’est plus facile qu’on ne pense par l’impossibilité où sont les provinces de juger à l’avance les intrigants et leurs manœuvres, ou les travers et les préventions de quelques honnêtes gens. La liste civile sert à gager beaucoup d’écrivains qui sèment le mensonge à journée : Montmorin[2] paye le Postillon-par-calais, à qui Regnault de Saint-Jean-d’Angély fournit tous tes petits poignards bien affilés ; Montmorin paye l’Argus patriote, que rédige l’infâme Morande, appelé de Londres pour continuer

  1. Faydel, député du Tiers du Quercy (1744-1827). — Voir, sur son rôle à la séance des Jacobins du 18 juillet, Aulard, Jacobins, t. III, p. 35-35.
  2. Le comte de Montmorin-Saint-Hérem, qui avait succédé à Vergennes, en 1787, au Ministère des affaires étrangères, qu’il garda jusqu’au 20 novembre 1791. Masacré à l’Abbaye le 2 septembre 1792.

    Voir sur « le Postillon, par Calais », et ses nombreuses contrefaçons, Tourneux 10429. et Hatin, p. 185-186.

    Regnault (1761-1819), député du Tiers de Saint-Jean-D’Angély, un des orateurs et de journalistes du parti constitutionnel, bien connu par son rôle considérable auprès de Napoléon.

    L’Argus patriote (8 juin 1791-26 mai 1792) était, en effet, rédigé par l’impudent Morande, sur lequel nous ne pouvons que renvoyer au livre de M. Paul Robiquet (Théveneau de Morande, Paris, Quantin, 1882).

    L’Ami des Patriotes, 27 novembre 1790 août 1792 (Tourneux, 10593, et Hatin, p. 157 ; Beaulieu, II, 45), rédigé d’abord par Duquesnoy, puis par Regnault de Saint-Jean-d’Angély et Blin. — Adrien-Cyprien Duquesnoy, 1759-1808, était député du Tiers du bailliage de Bar-le-Duc.