Aller au contenu

Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ici son métier de diffamateur et d’espion ; Montmorin soutient encore l’Ami des patriotes, que Duquesnoy, l’un des perfides modérés de l’Assemblée, écrit avec beaucoup d’art et de fiel. Depuis l’infernale coalition, les pamphlets de tout genre fourmillent et se renouvellent comme ces tribus d’insectes éphémères qui souillent les jours d’été ; aussi l’on ne saurait se représenter comme tous les faits s’altèrent, comme les réputations se tuent, comme la vérité s’étouffe et disparaît. Les malheureux saisis hier matin au Champ de Mars, l’un invalide, l’autre barbier, cachés d’une manière suspecte, aperçus par quelques personnes avant la réunion des citoyens pétitionnaires, conduits au Gros-Caillou et expédiés au même lieu par des gens de l’endroit irrités de ce qu’on les relâchait, ont été représentés à l’Assemblée comme deux gardes nationales, braves citoyens qui exhortaient à obéir aux lois et que des factieux avaient immolés sur l’autel de la patrie. La boucherie du soir, la cruauté de déployer la loi martiale contre des hommes sans armes, de poursuivre des femmes et de fouler aux pieds des enfants, a été décrite comme la juste vengeance et l’effort généreux de citoyens défenseurs de l’ordre ; l’assemblée leur a fait voter ce matin des remerciements. L’inquisition la plus rigoureuse s’exerce de toutes parts ; divers patriotes ont été avertis de ne pas coucher chez eux, et, pour notre part, nous avons donné asile aux Robert[1], qui sont venus nous le demander, quoique nous ne les eussions vus qu’une seule fois pour leur remettre une lettre ; leur confiance n’a pas été trahie. On ne machine rien moins que de faire dénoncer Robespierre à l’Assemblée, qui désire déclarer qu’il y a lieu à accusation afin de l’envoyer à Orléans, et il serait possible, avec tant d’ennemis d’une part, et de l’autre tant de vils agents prêts à se vendre, qu’on fabriquât un crime pour immoler en le déshonorant le plus vigoureux défenseur de la liberté. Cette manœuvre s’ourdit actuellement, et les premiers fils en ont été tendus hier aux Feuillants.

Que vous dirai-je ? Dans ce moment-ci même, on vient de m’interrompre pour une lettre machinée, ce me semble, afin de découvrir le nom de ceux que nous avons couchés cette nuit : au milieu des grands désordres j’ai oubliées petites ruses, et, si celle-là doit tourner contre nous, elle a réussi.

J’ai reçu cet après-midi votre lettre du 14 et vos bonnes pétitions[2] que l’événement a malheureusement prévenues ; cependant il est toujours temps de demander la nomination à la nouvelle législature, c’est même sur quoi il faut

  1. Cf. Mémoires, t. I, p. 164-165.
  2. C’est la pétition des Amis de la Constitution de Clermont-Ferrand, du 14 juillet contre le décret du 24 juin qui avait ajourné les élections. — Voir Patriote français du 20 juillet.