Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

449

À MONSIEUR CHAMPAGNEUX,
officier municipal à lyon[1].
22 juillet 1791, — de Paris.

Si vous pouviez, digne citoyen, vous représenter l’agitation dans laquelle on est ici depuis quinze jours, vous ne seriez ni scandalisé, ni surpris de mon silence sur votre prière[2]. Ce n’est point dans un semblable tumulte que l’âme se recueille et s’élève par un de ces sublimes élans qui rendent l’expression facile et touchante, comme il convient à votre objet. Commandés par de grands intérêts, inquiets d’une décision qui devait les fixer et sur laquelle l’opposition des esprits d’une part et des volontés de l’autre présageait des mouvements funestes, jetés enfin dans un état de trouble et d’anxiété qu’on ne saurait peindre, on semble privé pour longtemps ici des aimables loisirs et des douces affections. Une faction puissante domine l’Assemblée nationale et s’étend au dehors par une force redoutable ; la multitude des moyens dont elle dispose lui donne action jusque sur l’opinion même, qu’elle dirige et modifie à son gré ; un voile épais couvre les chaînes qui lient les choses et les personnes ; la crainte, les soupçons, la terreur sont répandus de toutes parts. Je me rappelle des temps où l’existence de la Bastille rendait silencieux ou circonspect ; la réserve est encore plus grande en ce moment pour ceux qui ne sont pas abusés, car les risques sont les mêmes et leur proximité plus immédiate, quoique leur durée peut-être ne doive pas être aussi longue.

Je dois avoir l’air de vous dire de l’hébreu, et, en vérité, je n’ai pas

  1. Ms. 6241, fol. 92-93. — Voir Révolution française du 14 août 1895.
  2. Il semble par cette lettre, rapprochée de celle du 14 août suivant, que Champagneux ait demandé à Madame Roland de lui envoyer, nous ne saurions dire pour quel objet, quelque invocation ou prière à la façon du vicaire savoyard. — Voir ms. 6241, fol. 81-82, une lettre de Roland à Champagneux, du 8 juillet 1791, sur le même sujet : « Notre femme a été un peu effarouchée de la tâche, etc… ».