Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1174

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L’inquiétude était devenue universelle et le mécontentement très grand, en voyant la propension de l’Assemblée en faveur de Louis, sa précipitation à prononcer sur une aussi grande question ; les factieux qui la dirigent ont senti que, dans le mouvement qui semblait s’annoncer, la nation allait reprendre le droit ou l’exercice du droit de prononcer son vœu et que les vices de la Constitution seraient sans doute attaqués ; ils ont voulu conserver et accroître leur ascendant, et pour cela déployer une grande force au nom même de la loi. Comme une conduite violente nécessite des mesures de même nature pour la soutenir, cette résolution a entraîné une foule d’actes révoltants. À ces données se compliquent des vues réelles ou supposées d’ennemis secrets qui profitent des troubles et se plaisent à les exciter ; on a tourné vers elle l’attention et les craintes des citoyens ; ils n’ont plus imaginé que des brigands et aperçu que des précautions indispensables dans les soins ou les excès de l’autorité. Cependant, pour que les esprits ne s’éveillent pas sur l’arrestation étrange de tant de gens sans crime et dont la chaleur, même excessive, servit la Révolution, on commence à songer qu’il faut sévir aussi contre quelques écrivains de l’aristocratie, et l’on parlait hier de Gauthier[1] et de Sulleau[2].

Marat, qui avait été très malade et qu’on disait être empoisonné s’est trouvé rétabli à temps pour être conduit en prison avec nombreuse compagnie. Aujourd’hui, on affiche à profusion des placards où l’on affecte de le confondre avec B. [Brissot] et plusieurs autres, pour les présenter ensemble au peuple comme des hommes dignes de sa haine.

Comment sortirons-nous de tout ceci ? On parle de guerre étrangère, ce qui serait un excellent moyen pour se perpétuer et se changer en Long Parlement.

S’il en arrivait ainsi, je ne sais où il faudrait chercher une retraite ; on voit l’aristocratie se resserrer, les corps administratifs se peupler d’intrigants, et les vrais patriotes exposés à une suite de persécutions incalculables sous le règne des factieux.

Adieu, donnez-nous de vos nouvelles.

  1. Gauthier, lire Gautier, le principal rédacteur du Journal général de la Cour et de la ville, 15 septembre 1789 - 10 août 1792 (Tourneux, 10323-10328, et Hatin, p. 134-136). Ce journal est, dit Hatin, « sinon pour la forme, au moins pour le fond, le digne pendant des Actes des Apôtres, dont il partagea quelque temps la vogue ». Cf. Tuetey, III, 5775.
  2. François-Louis Suleau, un des principaux rédacteurs des Actes des Apôtre, égorgé le 10 août 1792.