Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1179

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de la royauté et de toutes ses prérogatives fournissaient de beaux prétextes à cette marche intéressée.

Les Noirs ont soutenu naturellement une doctrine conforme à la leur, et il s’est ainsi formé une coalition redoutable, qui est véritablement devenue dominante. Les Lameth, profonds intrigants, l’ambitieux Duport, l’astucieux d’André se sont liés avec La Fayette, qu’ils haïssaient et qui les détestait, mais dont la suprême dissimulation se prête à tout pour se conserver un grand rôle dans toutes les suppositions imaginables ; la masse des hommes faibles, que de spécieuses raisons entraînent facilement, la tourbe des gens médiocres, ennemis secrets du système de l’égalité, avides de tout ce qui peut l’altérer, ont grossi bientôt la coalition, qui d’ailleurs n’épargne aucuns moyens pour se soutenir. L’un des premiers dut être d’affaiblir le crédit des bons écrivains et des honnêtes gens qui sont capables de dévoiler les manœuvres et d’éclairer le public ; il fallut prendre les devants, commencer par les calomnier et les accuser, investir l’opinion publique de préventions et la tourner contre eux ; ensuite, faire naître ou saisir une occasion de déployer une grande force armée, de répandre, la terreur et les soupçons, puis de faire tomber ceux-ci sur les personnes qu’on aurait intérêt de perdre ; définitivement prêter ou suggérer des torts à la Société des Jacobins pour l’affaiblir, la ruiner, détacher d’elle les Sociétés affiliées et régner partout sans obstacle. L’énergie que le peuple paraissait disposé à montrer a fait précipiter toutes ces mesures, et elles ont complètement réussi, à peu de chose prés. Le peuple est frappé de l’idée de brigands semés dans la capitale ; on les lui fait voir dans ses meilleurs défenseurs. La garde nationale a été excitée, insultée et poussée à des excès qui, en aigrissant d’une part, l’obligent, de l’autre, à les justifier par la continuité des mêmes moyens. Le drapeau rouge est toujours déployé, les moindres groupes sont défendus, la liberté de parler et d’écrire est entravée, les meilleurs citoyens craignent de s’exposer à des arrestations, comme il s’en fait tous les jours, en s’exprimant avec vigueur sur les circonstances ; la plus grande portion du peuple et de la force armée se persuade encore que ces