On vient de mettre les conventions[1] à des conditions fort singulières : cependant, en dépit de la coalition, le mode prête au corps législatif une prépondérance qu’elle n’aurait pas voulu lui accorder. On croit bien que le Roi ne manquera pas d’accepter, en demandant toutefois à pouvoir choisir ses ministres parmi ceux des représentants du peuple qui auront mérité l’estime publique. — L’heure me presse, les affaires me talonnent ; je ne puis vous entretenir comme je le voudrais. Adieu, notre bon ami.
Ma femme part aujourd’hui, notre ami ; elle est, comme vous pouvez croire, singulièrement occupée, mais non moins à ceux qui nous attachent comme vous. Au reçu de ma lettre, écrivez-lui à Villefranche, département de Rhône-et-Loire, si toutefois il ne faut pas que vos lettres viennent passer par Paris pour aller à Lyon, car elle apprendrait vos destinés aussitôt que par nous-mêmes, à qui sans doute vous en ferez part sans délai.
L’on parle beaucoup de moi à Lyon ; par toutes les lettres que j’en reçois, l’on m’apprend que je suis porté des premiers sur presque toutes les listes et qu’il y a tout lieu d’espérer, quoiqu’il y ait une cabale infernale[3]. Au reste, si la chose a dû avoir lieu, elle doit être faite en ce moment, quant à moi du moins. Si je ne passe pas des premiers, j’en désespère ; ainsi j’attends la nouvelle décisive de mon sort par le courrier de mardi ou au plus tard celui de mercredi prochain.
Brissot est terriblement ballotté ; s’il ne passe pas aujourd’hui, je tremble pour lui[4] : la cabale des enragés s’est tournée en perfides astuces. Ce ne sont plus ces grands moyens de brigands ; ce sont de basses et astucieuses scélératesses, des espérances, des promesses, des aveux de talents, de mérite, etc. ; mais, à cause de l’opinion publique, des égards, des ménagements, il faut d’abord faire passer celui-ci, celui-là. C’est ainsi que Garran a été nommé, puis Lacépède : aujourd’hui on veut encore Pastoret, demain un autre.
Le temps coule, les nominations se font ; le zèle s’amortit ; on se lasse d’une lutte qui d’abord a été vigoureuse ; il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais parmi les patriotes de ligue soutenue avec la constance, l’acharnement et l’emploi de tous les moyens de cette bande d’abominables scélérats, dont voici un trait à peu près public en ce moment et qui les peint d’après nature : Barn[ave], causant des événements confidemment avec clique et voyant
- ↑ Madame Roland entend par là les assemblées électorales des départements.
- ↑ À la suite de la lettre de Madame Roland du 31 août, l’éditeur de 1835 a donné les deux lettres suivantes de Roland, des 3 et 6 septembre, dont les autographes sont au ms. 9534, fol. 169-172. Nous croyaons devoir les donner aussi.
- ↑ Roland s’abusait. Il ne fut pas élu. L’élection, qui se fit du 30 août au 4 septembre, fut dominé par le souci « moins de faire un choix entre les nuances d’opinion que d’assurer à chaque partie du département sa part de représentation. » (Wahl, p. 425.)
- ↑ Brissot, malgré l’ardente campagne faite contre lui, à Paris, le 13 septembre, le 11e sur 28.