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rêts ; le peu d’étrangers que nous avons vus chez eux n’étaient que des marchands ignares, et nous n’avons pas eu le loisir d’entretenir personne autre.

J’arrête ici jusqu’à mon arrivée à la ville.


Villefranche, le vendredi.

Je venais d’écrire lorsque, jetant les yeux sur la Saône, j’ai vu, de l’autre côté, un homme vêtu de brun et une fille assez alerte errant sur le rivage, où était arrêtée une carriole et faisant des signes aux gens de rivière ; j’ai cru deviner ton frère et Claudine, je ne me suis pas trompée ; ils venaient au-devant de moi ; le chanoine, fort aimable, m’a dit être revenu des eaux exprès pour me recevoir, d’après ce que tu lui avais marqué précédemment que je quitterais Paris dans les derniers jours d’août.

Je te fais passer la lettre de Champagneux sur les élections de Lyon, qui me paraissent détestables dans ceux des sujets que nous connaissons, excepté l’évêque[1]. On dit que Vitet avait demandé du temps pour accepter et qu’il a refusé en voyant cette composition. Ainsi donc, adieu aux heureux projets pour la chose publique. Je ne me suis pas défendue de quelque peine. J’entrevois que les grands intérêts ne sont pas dans les meilleures mains du monde et j’aurais vu avec plaisir, pour mon compte, l’assurance d’un séjour à Paris. Toute la nullité de la province m’a paru tomber sur ma tête, je me suis sentie comme ensevelie dans le vide et l’obscurité ; j’en ai calculé les effets pour mon enfant, que j’avais principalement en vue, et j’ai été triste.

Il n’y avait pas deux heures que j’étais à la maison, fort occupée de faire nettoyer notre appartement, où la plus horrible poussière avait

  1. Sur 15 députés élus, Lamourette avait été nommé le second ; Vitet, nommé le septième, refusa. Le quinzième fut Lémontey, l’historien, qui fréquentera le salon de Madame Roland en 1792. De tous les autres, dont nous donnerons les noms plus loin (lettre du 11 septembre), il n’y a à retenir que le nom de Dupuy, qui fut réélu à la Convention, et qui, proscrit par la loi de 1816, alla s’établir à Valence, en Espagne, où il fonda une manufacture de soierie. (C’est de lui que descendrait, nous a-t-on dit à Valence, la branche espagnole des Dupuy de Lôme.)