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partir de la capitale le 19, et il l’aura quittée avec la tristesse qui pénétrait la plupart des patriotes témoins de la légèreté, de l’inconséquence et de l’idolâtrie de ses inconcevables habitants, devenus ivres du Roi depuis l’acceptation, et se portant à toutes les bassesses imaginables.

Je n’ai pas le temps de vous parler de Lyon, ce foyer d’aristocratie dont la perfidie a infecté jusqu’à ma retraite par les plus insignes calomnie. J’y ai trouvé (ici) beaucoup de gens attribuant la longueur de notre absence à l’emprisonnement de mon mari, supposé contre-révolutionnaire. Et de telles absurdités ont pu trouver créance dans des êtres témoins de notre patriotisme, de notre dévouement au bien commun, et au leur en particulier ! Et de mauvaises têtes ont été jusqu’à des projets nuisibles ou des propos de menaces ! Et j’ai entendu derrière moi chanter « Les aristocrate à la lanterne ». Étonnez-vous de quelque chose après cela !

Il est vrai que ces cruelles folies n’ont pu séduire la majorité et que les traces doivent en disparaître promptement ; mais cela donne une idée désespérante de la stupidité du peuple.

J’ai été, je suis encore si préoccupée de soins économiques à ce temps de récolte, que je n’ai pas un moment à moi ; j’en ai perdu, je crois, jusqu’à la faculté d’écrire. Mon papier est déchiré par mégarde. Adieu, donnez-moi donc signe de vie ; pouvez-vous affliger quiconque désire autant votre bonheur ?

Lanthenas reste à Paris. Vous savez la nomination de Brissot ; elle m’a fait une grande joie. Puisse-t-il faire le bien qu’il sait vouloir.


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[À ROBESPIERRE, À PARIS[1].]
27 septembre 1791, — du Clos Laplatière, paroisse de Thésée.

Au sein de celle capitale, foyer de tant de passions, où votre patriotisme vient de fournir une carrière aussi pénible qu’honorable, vous ne recevrez pas, Monsieur, sans quelque intérêt, une lettre datée du fond des déserts,

  1. L’autographe de cette lettre, publiée par M. Faugère dans son édition des Mémoires, t. I, p. 386-391, est au ms. 9533, fol. 213-215. Il a figuré, sous le n° 292 dans la vente des 9 et 10 décembre 1875, Ét. Charavay, expert.