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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1216

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Quant à Lyon, cette ville est dévouée à l’aristocratie. ; ses élections sont détestables ; les députés ne sont que des ennemis de la liberté, des agioteurs, des gens nuls ou malfamés ; il n’y a pas un talent, même médiocre ; son département est composé à peu près comme sa députation à la législature : quelques patriotes ont été poussés au district où ils ne sauraient faire, grand bien, ni empêcher beaucoup de mal[1].

S’il faut juger du gouvernement représentatif par le peu d’expérience que nous en avons déjà, nous ne devons pas nous estimer fort heureux.

La masse du peuple ne se trompe pas longtemps grossièrement ; mais on achète les électeurs, puis les administrateurs, et enfin les représentants qui vendent le peuple. Puissions-nous, en appréciant les vices que les préjugés et les ambitieux ont fait introduire dans notre Constitution, sentir toujours davantage que tout ce qui s’écarte de la plus parfaite égalité, de la plus grande liberté tend nécessairement à dégrader l’espèce, la corrompt et l’éloigne du bonheur !

Vous avez beaucoup fait, Monsieur, pour démontrer et répandre ces principes ; il est beau, il est consolant de pouvoir se rendre ce témoignage à un âge où tant d’autres ne savent point encore quelle carrière leur est réservée ; il vous en reste une grande à parcourir pour que toutes les parties répondent au commencement et vous êtes sur un théâtre où votre courage ne manquera pas d’exercice.

Du fond de ma retraite, j’apprendrai avec joie la suite de vos succès ; j’appelle ainsi vos soins pour le triomphe de la justice, car la publication des vérités qui intéressent la félicité publique est toujours un succès pour la bonne cause.

Si je n’avais considéré que ce que je pouvais vous mander, je me serais abstenue de vous écrire ; mais sans avoir rien à vous apprendre, j’ai eu foi à l’intérêt avec lequel vous recevriez des nouvelles de deux êtres dont l’âme est faite pour vous sentir et qui aiment à vous exprimer une estime qu’ils accordent à peu de personnes, un attachement qu’ils n’ont voué qu’à ceux qui placent au-dessus de tout la gloire d’être juste et le bonheur d’être sensible.

M. Roland vient de me rejoindre[2], fatigué, attristé de l’inconséquence et de

  1. Les élections pour le district venaient d’avoir lieu à Lyon (Wahl, p. 426) et avaient été une victoire pour le parti municipal, modeste revanche de l’échec législatif. Roland, Pressavin et huit de leurs amis avaient été nommés. Blot avait été élu procureur-syndic.
  2. Roland, pressé de veiller à ses vendanges, avait quitté Paris le 19, et était arrivé au Clos le 25.