Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1252

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

423

À SERVAN, [À PARIS[1].]
9 mai, l’an iv (1792), — [de Paris].

Oui, Monsieur, je l’ai souhaité, voulu ; je tiens à cette opinion, et vous la justifierez[2]. Plus de craintes ni de défiances, elles ne sont plus de saison ; il faut vouloir, et tout ira.

Peu importe maintenant ce que disent ou font les autres ; vous voilà sur la brèche, il ne s’agit que de vaincre : le premier gage de la victoire est dans l’espoir de la remporter, par la bonté de sa cause et la grandeur de son courage.

Jusqu’à présent, les hommes en place ont nui à la chose et à eux-mêmes pour n’avoir pas su se prononcer ; on disait vouloir la Révolution, et l’on avait des ménagements coupables pour tous ses ennemis. Il faut être plus ferme et plus franc, aller au but ouvertement, faire marcher la Constitution et montrer à l’Europe un ministère qui la veut sincèrement.

Entourez-vous de bons citoyens, pour être moins contrarié dans votre allure ; grondez vos collègues lorsque leurs conférences dégénéreront en pures causeries, et ne vous trouvez pas de fois ensemble que vous n’ayez arrêté quelque chose d’utile[3].

  1. Ms. 9533, fol. 209. — M. Faugère en a donné cinq lignes dans son édition des Mémoires (t. I, p. 73). — Une note de l’autographe dit : « Lettre de Madame Roland au général Servan ». Nous n’avons pas besoin de rappeler que l’an 4e de la Liberté, dans la manière de compter d’alors (en partant de la prise de la Bastille), correspond à 1792.
  2. De Grave, ministre de la Guerre, venait de donner sa démission (8 mai), et Servan le remplaçait. Nous avons ici la preuve que c’est Madame Roland qui l’a « voulu ». Elle le connaissait depuis 1790 (voir lettre 396) par Brissot (ms. 9534, fol. 54).

    Servan, envoyé avec Roland et Clavière le 13 juin, rappelé au Ministère le 10 août, démissionnaire le 3 octobre, et nommé alors au commandement de l’armée des Pyrénées-Orientales, fut destitué le 4 juillet 1793 et incarcéré à l’Abbaye. Il échappa cependant à la Terreur, reprit du service et mourut en 1808.

  3. Cf. Mémoires, t. I, p. 69 et 249-251. « Le Conseil n’était plus qu’un café où l’on s’amusait à des bavardises… »