qu’humaine, il est impossible de réparer en peu d’heures l’effet de quatre années de trahison. Les ennemis ont l’avance sur nous, et nous ne pouvons nous sauver que par une sorte de miracle qu’il faut espérer pour le favoriser. Envoyez-nous des hommes tout armés, comme il en sortit autrefois de la terre et faites-les courir à grands pas. Ce qui désespère, c’est la lâcheté des municipalités ; Clermont (en Argonne) vient encore d’en donner un exemple qui anéantit. Ce qui entrave tout, c’est notre folle Commune ; elle lutte avec le Corps législatif, elle dérange toutes les combinaisons du pouvoir exécutif ; si cela continue, nous ne pouvons manquer de finir bientôt, et ce sera peut-être par le peuple de Paris, plutôt encore que par les Prussiens.
Au moment où je vous parle, le canon d’alarme est tiré, la générale est battue, le tocsin a sonné, chacun a couru dans sa section. Quels sont les ordres ? Personne n’en a donné. Mais la Commune a dit qu’il fallait se rassembler ce soir au Champ de Mars, et que 50,000 hommes devaient sortir demain de Paris, sans réfléchir qu’on ne peut seulement en faire marcher deux cents sans leur avoir assuré le logement et des vivres. Cependant des détachements du peuple ému accourent ici, demandent des armes et se croient trahis parce que le ministre n’est pas chez lui au moment où ils imaginent d’y venir[1].
L’Assemblée rend des décrets qui sentent la peur ; la foule se porte à l’abbaye, elle y massacre quinze personnes et parle d’aller à toutes les prisons. Le pouvoir exécutif a convoqué tous les commissaires de sections pour les raisonner, les éclairer s’il est possible, et leur dévoiler tous les maux de l’anarchie à laquelle il faudra les abandonner en se retirant, s’ils traversent ainsi ceux qui doivent faire agir. On enlève tous les chevaux, et comme cette opération est populaire, ainsi que toutes les autres, c’est le moyen d’en perdre beaucoup par le défaut d’ordre ou de soins. On a refermé les barrières, qui avaient enfin été ouvertes hier et dont la clôture retarde toutes les opérations, car les courriers mêmes du pouvoir exécutif sont souvent retenus à la Commune, malgré les passeports des ministres. Adieu. Je sens mon âme inaccessible à la crainte, et je serais très capable de suivre jusqu’au dernier instant la marche et les mesures d’une défense régulière ; mon digne ami est aussi actif et plus ferme que jamais. Mais qui pourrait n’être pas contristé du chaos rembruni par des agitateurs ?
- ↑ Voir dans les Mémoires, I, 102-102, le récit de cet incident.