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À LAVATER, À ZURICH[1].
18 novembre [1792], l’an ier de la République, — de Paris.

Vous ne doutez pas, mon cher Lavater, du vif intérêt avec lequel nous avons reçu de vos nouvelles[2]. Au milieu du monde politique et des agitations qui nous environnent, un souvenir de l’amitié repose l’esprit et console le cœur. Son effet est comparable à celui de ces traits touchants, de ces images attendrissantes, dont le bon Homère sait entrecouper des actions terribles ou des descriptions effrayantes. Puissiez-vous plus souvent semer ainsi de quelques fleurs le poème de notre vie !

Vous aviez bien raison de croire n’avoir rien à nous cacher de ce que votre âme douce et humaine peut éprouver de pénible ; mais vous vous êtes trompé lorsque vous avez cru que notre ami aurait quelque pouvoir sur l’objet qui vous affecte. Exécuteur des lois, sur sa responsabilité, il ne concourt point à leur confection, à moins qu’elles ne regardent les détails intérieurs et administratifs sur lesquels il peut demander des décisions.

Celle dont il s’agit a été portée dans l’Assemblée avec beaucoup de réflexion ; elle est d’une grande rigueur, et il faut peut-être avoir connu tous les projets des émigrés en général, toutes leurs entreprises, et surtout les affreux excès de

  1. Publié par M. G.Finder, op. cit. ; — ms. 9533, fol. 185-186, copie.
  2. Madame Roland répondait à la lettre suivante :

    Zurich, le 4 novembre 1792.

    Un mot, mon cher Roland de la Platière ! Je me mets à genoux, au nom de l’humanité ! – la première fois dans ma vie. — Je vous conjure — faites le possible et l’impossible – pour abolir la loi inouïe, barbare, sanguinaire, de bannir tan d’émigrés, de massacrer tous les revenants. Combien d’innocents ! — combien de fidèles à son devoir ! — Je n’ajoute pas mot que mon nom.

    Jean-Gaspard Lavater.

    Ma bonne femme me prie, au nom de Dieu, de ne pas envoyer ce mot à M. Roland. Moi je réponds : « Vous avez oublié la physiognomie droite et sage de cet homme, et la bonne, fidèle physiognomie de sa femme, si vous craignez quelque mal de ce mot simple d’humanité ! »

    Ce 10 xi 1792.

    Lavater.

    (Ms. 9533, fol. 189, copie : publié par G. Finsler, op. cit.)

    Lavater s’élevait ici contre le décret du 23 octobre 1792, qui, rendu sur la proposition de Buzot, bannissait à perpétuité les émigrés et punissait de mort ceux qui rentreraient.