Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1275

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rage s’en est accrue ; je suis Galigaï, Brinvilliers, Voisin, tout ce qu’on peut imaginer de monstrueux, et les dames de la Halle veulent me traiter comme Madame Lamballe.

En conséquence, je vous envoie mon portrait, car encore faut-il laisser quelque chose de soi à ses amis. Je suis bien aise de vous dire qu’après mon mari, ma fille et une autre personne[1], vous êtes le seul à qui je le fasse connaître ; il n’existe point pour le monde ni même le courant des amis.

Je ne sais trop ce que deviendra tout ceci ; mais si Paris se perd, il faut que le Midi sauve le reste.

Pache[2] détraque la machine ; c’était un excellent second et conseil pour un homme en place et à caractère, c’est le ministre le plus Jean-fesse qu’il soit possible de trouver ; l’expression est un peu révolutionnaire, mais le moyen de ne pas le devenir soi-même au milieu de révolutions continuelles et toujours graduées au plus fort ! Je ne sais où trouver un sage écrivain. Croiriez-vous que depuis que Louvet ne peut plus faire la Sentinelle[3], nous avons vainement essayé de trois personnes, et quelle est tombée, faute de faiseurs ? Prenez un peu soin de notre mémoire, lorsqu’il ne restera plus quelle ; ils sont capables de la souiller, et tiennent peut-être prêtes les impostures qu’ils viendront insérer dans nos papiers.

Presque tous nos députés ne marchent plus qu’armés jusqu’aux dents ; mille gens nous conjurent de coucher ailleurs qu’à l’Hôtel[4]. La charmante liberté que celle de Paris !

Eh bien, si vous étiez resté, nous n’en serions pas là. Du moment où les fédérés auraient été mis sous vos ordres, vous auriez pu les organiser et en faire un appui respectable ; c’était le moyen suppléant à la garde qu’on n’a pas osé appeler. Pache n’a travaillé qu’à les dégoûter, les renvoyer et les

  1. Probablement Buzot. (Voir notre article de la Révolution française (février 1901) sur « Le portrait de Madame Roland aux Archives Nationales ».)
  2. Pache fut renvoyé par l’Assemblée le 2 février 1793.
  3. Sur la Sentinelle, voir Torneux 10775, et Hatin, p. 236-238. Elle avait commencé à paraître, non pas le 1er mars 1792, comme on l’a dit, mais seulement à la fin d’avril, après la déclaration de guerre. La publication s’interrompit le 21 novembre, nous ne savons pourquoi, et recommença pour quelque temps en janvier 1793. Quant à Louvet (1760-1797), l’héroïque et léger ami des Roland, il est trop connu pour que nous ayons besoin de lui consacrer une notice.
  4. Cf. Mém., t. I, p. 17 ; Champagneux. Disc. préliminaire, xxxvii-xxxix ; Vatel, p. 401-402. — Voir aussi l’Avertissement de l’année 1793.