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Peut-on placer à ce moment-là l’explication loyale, mais cruelle, dans laquelle sa femme, renouvelant la scène de la Princesse de Clèves, lui déclara son amour pour Buzot[1] ? Cela rendrait compte de tout, et surtout de la soudaineté de sa démission : le jour où Roland aurait senti lui manquer l’amour qui le soutenait depuis tant d’années, il n’aurait pas eu le courage de continuer la lutte. Mais cette hypothèse, qui nous a tenté un instant, ne vaudrait qu’autant que nous pourrions placer exactement à cette date le cruel aveu, et rien ne nous autorise à le faire.

L’explication la plus vraisemblable nous est fournie par Roland lui-même. Dans une note des plus intéressantes, qui semble être un fragment des Mémoires qu’il avait commencé à rédiger, et qu’il écrivait le 19 février suivant[2], il déclare expressément que s’il eût trouvé, parmi ses amis de la Gironde, « un seul homme » qui eût osé monter à la tribune et demander à la Convention de se prononcer solennellement entre ses accusateurs et lui, il aurait su « faire front aux plus grands orages ».

Cet homme ne se trouva pas, ce qui veut dire que Buzot lui-même ne crut pas opportun de provoquer ce suprême débat : Roland, dans son placard du 19 janvier, demandait des juges, ses amis ne jugèrent pas qu’il y eût lieu de lui en donner. Sa démission du 22 devint ainsi la conséquence logique de son défi du 19[3].

Ce qu’il est d’ailleurs important de constater, c’est que la minute de la lettre de démission, qui se trouve au ms. 6243, fol. 181-191, est écrite tout entière par Madame Roland, avec diverses ratures, surcharges et renvois, dont la plupart sont aussi de sa main, un petit nombre seulement de la main de Roland[4]. Elle s’est donc associée entièrement à la résolution de son mari, et on peut croire quelle en a été l’inspiratrice.

  1. Mém., II, 244.
  2. Pièce publiée par Champagneux, Disc. prélim., p. xi-xxi.
  3. Dès le 20, Madame Roland presse Lanthenas pour en avoir les renseignements nécessaires aux comptes que Roland doit rendre (lettre 520).

    Voir aussi, au ms. 9532, fol. 337, un billet adressé par Roland, le 23 janvier, en quittant le ministère, probablement à Lanthenas : « … J’ai assez discuté ; j’en suis las… »

  4. Le texte imprimé se trouve dans le Moniteur (n° du 26 janvier) ; on le trouvera également dans Girardot, p. 200-206, et au ms. 6243, fol. 262-265.

    Il n’y a, dans la minute, qu’une page (fol. 191) qui soit tout entière de la main de Roland. C’est le brouillon du post-scriptum relatif à l’armoire de fer.