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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1329

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vité est une attestation journalière de la plus révoltante tyrannie ; il faut toute leur bêtise pour laisser cet aliment à la haine publique, et nous serions bien malhabiles de l’ôter. La présence des derniers dangers pourrait seule nous justifier. Ces dangers n’existent pas ; s’ils naissaient inopinément, il se trouverait beaucoup d’honnêtes gens pour les détourner. Me traîneraient-ils au tribunal révolutionnaire ? J’ai calculé cela même, et je ne le crains pas. Ce serait une nouvelle école de leur part ; je la ferais tourner au profit de la chose publique, et bien difficilement ils en feraient résulter ma ruine. Aussi n’ont-ils pas dessein d’entamer de sitôt le procès de la grande conspiration des Trente-deux[1], dans laquelle ils veulent m’impliquer comme complice du projet de pervertir l’opinion publique. On ne sait duquel on doit plus s’étonner, de leur profonde malice ou de leur absurdité. L’impudent capucin[2] a annoncé que le comité de S. p. [Salut public] ne ferait son rapport à ce sujet qu’après l’éducation nationale, les finances[3] et la simplification du Code.

J’apprends que des officiers municipaux ont couru hier les sections pour lever et faire marcher contre ce qu’ils appellent des brigands. Ce matin, on a battu la caisse dès 5 heures pour le même objet.

Je me suis fait apporter, il y a quatre jours, this dear picture[4], que, par une sorte de superstition, je ne voulais pas mettre dans une prison ; mais pourquoi donc se refuser cette douce image, faible et précieux dédommagement de la présence de l’objet ? Elle est sur mon cœur, cachée à tous les yeux, sentie à tous les moments et souvent baignée de mes larmes. Va, je suis pénétrée de ton cou-

  1. Les Vingt-Deux et les Douze, ceux-ci réduits à dix, par la radiation de Fonfrède et de Saint-Martin. C’est pourquoi l’on disait « les Trente-deux ». Ils n’étaient même que 31, Rabaut-Saint-Étienne figurant sur les deux listes (Wallon, I, 354-356).
  2. Chabot. — Voir plus haut (lettre 536) sa lettre du 1er juillet à Garat.
  3. M. Dauban a imprimé ici : L’organisation nouvelle des finances. Mais, dans le fac-similé qu’il publie lui-même, il est impossible de lire « organisation ». Il y a « l’éducat nle les … » Notre lecture concorde d’ailleurs avec les termes même de la lettre de Chabot et d’Ingrand.

    De même, M. Dauban, par une méprise que M. Faugère a relevée, a traduit, trois lignes plus loin « on a battu la caisse des 5 h. » par « la caisse des grands jours », au lieu de lire tout simplement « dès 5 heures ».

  4. Le portrait de Buzot est sans doute celui que M. Vatel a retrouvé en mars 1863, et qui est aujourd’hui à la bibliothèque municipale de Versailles. C’est un médaillon, de sept centimètres de diamètres, derrière lequel Madame Roland a écrit une notice sur Buzot. On verra plus loin (lettres 551 et 553) qu’à la fin d’octobre, à l’approche de la mort, la prisonnière le confia à Mentelle.