Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1328

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Mais son attachement pour toi, son dévouement à la bonne cause, sa douceur et son honnêteté me l’ont fait entretenir assez longtemps avec plaisir, quoique j’eusse ton paquet dans ma poche, et c’est assurément beaucoup dire. Calme-toi, mon bon ami : ma nouvelle captivité n’a pas tellement aggravé ma situation qu’il faille rien risquer pour la changer. La manière dont elle s’est opérée, l’entourage que je me suis trouvé dans cette seconde prison, ont excité chez moi, dans les premiers instants, une indignation violente ; mais elle est tellement partagée par le public, que mes oppresseurs ont plus à perdre et que j’ai plus à gagner d’en laisser subsister le sujet que de le détruire. Ils triompheraient momentanément de ma fuite ; ce serait à moi de craindre et à eux de se vanter. Il ne faut pas faire cet échange.

Ma délivrance est infaillible par l’amélioration des choses ; il n’est question que d’attendre. Cette attente ne m’est point pénible, et, en vérité, à l’exception de quelques moments bien chers, le temps le plus doux pour moi, depuis six mois, est celui de cette retraite. Je ne te représenterai point les difficultés et les dangers d’une tentative dans le local actuel, eu égard à ses dispositions et au nombre des surveillants. Rien ne m’arrêterait si j’avais à les braver seule pour aller te joindre ; mais exposer nos amis et sortir des fers dont la persécution des méchants m’honore pour en reprendre d’autres que personne ne voit et qui ne peuvent me manquer, cela ne presse nullement. Je sens toute la générosité de tes soins, la pureté de tes vœux, et plus je les apprécie, plus j’aime ma captivité présente. Il est à R[ouen], bien près de toi, comme tu vois, chez de vieilles amies et parfaitement ignoré, bien doucement, bien choyé#1, tel qu’il faut qu’il soit pour que je n’aie point à m’inquiéter, mais dans un état moral si triste, si accablant, que je ne puis sortir d’ici que pour me rendre à ses côtés. J’ai repoussé les projets, du genre des tiens, qu’il avait formés à mon sujet, et pour lesquels est encore à Paris une personne qu’il a envoyée#2. Politiquement parlant, ce serait détestable, comme il serait fou à ceux des députés qui restent ici de s’échapper maintenant. Ma personne n’est pas de la même importance que la leur, puisque je ne représente que moi ; mais mon oppression en est encore plus odieuse, parce qu’elle semble plus gratuite. La durée de ma capti-[1][2]

    s’était arrêté le 3 juin, en quittant Paris. — Vallée fut décrété d’arrestation le 30 juillet, d’accusation le 3 octobre, parvint à s’échapper et fut rappelé à la Convention le 25 ventôse an iii (15 mars 1795).

  1. Mém., I, 217 : « Je savais Roland dans une retraite paisible et sûre, recevant les consolations et les soins de l’amitié. » Cf. plus haut, page 484, note 4.
  2. Cf. page 494, note 2.