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malheureux, — ont-ils étouffé l’histoire, qui voue leur mémoire à l’exécration, et goûtèrent-ils le bonheur ?

Quoi qu’il me soit réservé, je saurai le subir d’une manière digne de moi, ou le prévenir s’il me convient. Après les honneurs de la persécution, dois-je avoir ceux du martyre ? Ou bien suis-je destinée à languir longtemps en captivité, exposée à la première catastrophe qu’on jugera bon d’exciter ? Ou serai-je déportée soi-disant, pour essuyer à quatre lieues en mer cette petite inadvertance de capitaine qui le débarrasse de sa cargaison humaine au profit des flots ? Parlez ; c’est quelque chose que de connaître son sort, et, avec une âme comme la mienne, on est capable de l’envisager.

Si vous voulez être juste et que vous me lisiez avec recueillement, ma lettre ne vous sera pas inutile, et dès lors, elle pourrait ne pas l’être à mon pays. Dans tous les cas, Robespierre, je le sais, et vous ne pouvez éviter de le sentir : quiconque m’a connue ne saurait me persécuter sans remords.


Roland, née Phlipon.

Nota. L’idée de cette lettre, le soin de l’écrire et le projet de l’envoyer se sont soutenus durant Vingt-quatre heures ; mais que pourraient faire mes réflexions sur un homme qui sacrifie des collègues dont il connaît bien la pureté ?

Dès que ma lettre ne serait pas utile, elle est déplacée ; c’est me compromettre sans fruit avec un tyran qui peut m’immoler, mais qui ne saurait m’avilir. [Je ne la ferai pas remettre[1].]


550

[À JANY, À PARIS[2].]
[Octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Ma fille, dear Jany, est chez des amis, les respectables Creuzé, qui l’élèvent avec leurs deux filles comme un enfant adoptif. La mauvaise

  1. Les mots entre crochets sont de l’écriture de Bosc. Ils remplacent une ligne fortement raturée par lui, et qui avait évidemment le même sens.
  2. Cette lettre a dû être donnée par Bosc à Barrière. Mlle  Bader, qui a eu, après la mort de celui-ci, ses papiers entre les mains, a publié, dans le Correspondant du 10 juillet 1892, la plus grande partie de la lettre. Nous donnons le texte complet d’après copie, fournie à Faugère par Barrière, qui se trouve au ms. 9533, fol. 228-229.