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Il est trop vrai, Jany, qu’on ne peut se confesser sans révéler aussi la confession de quelques autres ; c’est quelquefois délicat, et, à mesure que j’avance, je sens que j’ai plus à dire d’autrui. Mais j’ai fait mon calcul et pris mon parti, je dirai tout, tout, absolument tout ; ce n’est que comme cela qu’on peut être utile.

Adieu, mon ami, mon confident ; vous pouvez bien dire que c’est à votre généreux empressement que vous devez ces titres. Adieu, je vais donc continuer. Vous devez, n’ayant pas vu le commencement, trouver des personnages qui viennent on ne sait d’où : c’est que tout se lie et s’enchaîne. Véritablement [la vie de chaque individu est un poème dans lequel certain nombre de personnages ont leur place dès l’origine et dont le sort ne peut être connu qu’en suivant l’histoire de celui qui fait le principal rôle[1]].


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À JANY, À PARIS[2].
[Octobre 1793, — de Sainte-Pélagie.]

Votre douce lettre, cher Jany, m’a fait autant de bien que votre aimable causerie. La tendre pitié est le vrai baume du cœur malade. Je sens la délicatesse qui vous fait répugner à l’idée de publier jamais mon secret ; cette délicatesse pour autrui m’aurait empêchée de le confier au papier, s’il n’eût été deviné et travesti. Quant à moi, personnellement, je ne tiens absolument qu’à la vérité ; je n’ai jamais eu la plus légère tentation d’être estimée plus que je ne vaux ; j’ambitionne que l’on me connaisse ce que je suis, bien et mal, ce m’est tout un[3]. J.J. ne m’a jamais paru coupable pour ses aveux, mais seule-

  1. Ce passage que nous mettons entre crochets est celui que Barrière a cité dans sa Notice (p. xix), mais en faisant subir au texte quatre corrections en quatre lignes.
  2. Publié par Mlle Cl. Bader (Correspondant du 10 juillet 1892). Il y en a une copie, fournie par Barrière, au ms. 9533, fol. 230-231.

    La lettre, non datée, est évidement, comme la précédente, d’octobre 1793. Nous croyons qu’elle est aussi postérieure à celle du 8, et qu’il faut la placer autour du 14, date à laquelle Madame Roland se trouvait encore à l’infirmerie de Sainte-Pélagie.

  3. Cf. la fin d’une lettre à Sophie Cannet du (14) 4 janvier 1776, éd. Dauban, I, 336.