Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1359

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ment répréhensible de deux faits, qui ne sont point dans la nature : l’attribution, à la pauvre Marie, du vol du ruban, et l’abandon de cet enfant à l’hôpital. Quant au blâme de la tourbe indiscrète et légère, on ne l’évite jamais dès qu’une fois on a excité l’envie.

Sans prétendre m’excuser, je suis convaincue que la jalousie du malheureux R. [Roland] a seule fait percer mon secret par des confidences multipliées, en même temps qu’elle m’a inspiré par moments des résolutions violente.

Croiriez-vous qu’il avait fait des écrits là-dessus[1], avec tout l’emportement et les faux jours d’un esprit irrité qui déteste son rival et voudrait le livrer à l’exécration publique, et que je n’ai obtenu que depuis peu que ces écrits empoisonnés fussent brûlés ? Concevez-vous combien leur existence m’enflammait d’indignation, d’une part, et alimentait, de l’autre, le sentiment même dont je voyais maltraiter si injustement l’objet ? Oui, vous l’avez vu, vous le dépeignez bien[2] ; vous trouverez son portrait peint, et aussi écrit, dans certaine boîte qu’on vous remettra ; c’est ma plus chère propriété, je n’ai pu m’en défaire que dans la crainte qu’il soit profané. Conservez-les bien, pour les transmettre un jour.

Mais, à propos de cette boîte, qui contient autant et plus de manuscrit que vous en avez déjà, faites-moi dire le jour où l’on pourra vous la porter au matin, afin que votre cachette soit prête. Avisez à sa conservation pour tous les cas possibles, afin qu’un protecteur ne lui manque pas ; s’il vous arrivait quelque accident.

[Quant à moi, Jany, tout est fini. Vous savez la maladie que les Anglais appellent heart-broaken (sic) ? j’en suis atteinte sans remède, et je n’ai nulle envie d’en retarder les effets ; la fièvre commence à se développer, j’espère que ce ne sera pas très long. C’est un bien. Jamais ma liberté ne me serait rendue ; le ciel m’est témoin que je la consacrerais à mon malheureux époux ! Mais je ne l’aurai point et je pourrais attendre pis. C’est bien examiné, réfléchi et jugé[3].]

Quand on a dit que le moral de l’amour n’en valait rien, on a fait légèrement une grande proposition qui, si elle était vraie, s’appliquerait à toutes les passions de l’homme ; car c’est par le moral qu’elles sont passions et qu’elles ont de beaux ou d’éclatants effets ; ôtez ce moral, tout n’est qu’appétit et se réduit aux besoins physiques. Si le moral de l’amour ne valait rien, il faudrait

  1. Cf. lettre du 31 août 1793, à Buzot.
  2. Buzot.
  3. Ce passage entre crochets a déjà été cité par Barrière (Notice, p. xli), mais altéré, selon son habitude, par quelques retouches peu heureuses.