Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1361

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un des antres de la mort, et avec une plume qui tracera peut-être bientôt l’ordre de m’égorger.

Je me félicitais d’avoir été appelée en témoignage dans l’affaire des députés, mais il y a apparence que je ne serai pas entendue. Ces bourreaux redoutent les vérités que j’aurais à dire et l’énergie que je mettrais à les publier : il leur sera plus facile de nous égorger sans nous entendre. Vous ne reverrez plus ni Vergniaud, ni Valazé[1] ; votre cœur a pu concevoir cette espérance, mais comment tout ce qui se passe depuis quelque temps ne vous a-t-il pas ouvert les yeux ? Nous périrons tous, mon ami : sans cela nos oppresseurs ne se croiraient pas en sûreté… Un de mes plus grands regrets est de vous voir exposé à partager notre sort. Nous vous avons arraché à votre retraite ; vous y seriez peut-être encore sans nos sollicitations, et votre famille ne serait pas dispersée et malheureuse… Ce tableau me déchire plus que les maux qui me sont personnels ; mais, dans les beaux jours de la Révolution, il n’était pas possible de calculer ce cruel avenir. Nous avons tous été trompés, mon cher Champagneux, ou pour mieux dire, nous périssons victimes de la faiblesse des honnêtes gens ; ils ont cru qu’il suffisait, pour le triomphe de la vertu, de la mettre en parallèle avec le crime : il fallait étouffer celui-ci… Adieu, je vous envoie ce que vous me demandez[2]. Je vous écris à côté et presque sous les yeux de mes bourreaux ; j’ai quelque orgueil à les braver.

    à la dérobée ; elle y a vu Adam Lux, appelé comme elle en témoignage, qui lui a glissé une lettre de Champagneux, dont il était le compagnon de captivité à la Force, et elle a trouvé le moyen, séance tenante, d’écrire la réponse et de la lui confier ; puis, l’audience s’étant terminée sans que son tour soit venu, on l’a reconduite à sa prison.

  1. Vergniaud et Valazé, écroués au Luxembourg le 26 juillet, avaient été transférés, le 30, à la Force, où Champagneux vint les rejoindre le 4 août ; mais il ne passa que deux mois avec eux, car, dès le 6 octobre, ils avaient été amenés à la Conciergerie, d’où ils ne sortirent que pour aller à l’échafaud, le 31 octobre.
  2. « Une touffe de ses cheveux » (Champagneux).