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Elle reconnait que cette perception est abusive et qu’une ordonnance de la municipalité va y mettre ordre ( 20 décembre). (Inv. des Archives de la Somme, C. 327.)

Toutes ces luttes, où Roland, appuyé par Trudaine, arrivait à forcer la main aux corps privilégiés et à l’Intendant lui-même, n’étaient pas pour lui attirer la bienveillance des autorités de la province. Il s’en aperçut bien, dans une affaire qui demande à être exposée avec quelque détail :

Roland s’était occupé de chimie industrielle à Rouen avec M. de La Follie et avec l’abbé Deshoussayes, à Paris avec M. Demachy. En 1775, il eut l’idée, avec deux industriels d’Amiens, de ses amis particuliers, l’apprêteur Flesselles et le teinturier Delamorlière, de faire proposer par l’Académie des Sciences un concours, en 1777, sur la théorie générale de la teinture. L’Académie trouva le sujet trop vaste, et demanda qu’on le restreignit à « l’analyse et l’examen chimique de l’indigo » (Dict. des manuf., t. III, lxiii). Roland et ses deux amis acceptèrent ce programme, et se cotisèrent, jusqu’à concurrence de 1,200 livres, pour faire le fonds du prix à décerner. Mais, craignant que la somme ne parût trop faible, Roland s’adressa à Trudaine. « M. Trudaine me promit de doubler mes fonds et de faire mieux si le cas le requérait ; mais il crut que nous devions trouver de grandes ressources dans le département qui m’est confié, et l’un du royaume des plus intéressés à la chose. Il m’engagea à écrire à M. l’Intendant. » (Dict. des manuf., t. I, 66*.)

Roland écrivit en conséquence, de Paris, le 3 février 1775, à M. d’Agay (Inv. des Arch. de la Somme, C. 334). L’Intendant lui répondit, le 9 (Dict. des manuf., t. I, 66*), qu’il allait communiquer sa proposition à la Chambre de commerce d’Amiens, à qui la Province allouait 12,000 livres par an pour les dépenses « que le bien du commerce exige », et en effet, le même jour, il saisissait la Chambre et la priait d’examiner si elle ne pourrait pas contribuer au prix… pour 200 ou 300 livres ! (Inv. des Arch. de la Somme, ibid.)

La réponse des président et syndics de la Chambre de commerce est du 1er mars (ibid.). Ils déclinent l’invitation, attendu que « les découvertes de la botanique n’ont rien laissé ignorer sur l’indigo, et que l’art et le mettre en pratique est suffisamment connu ».

M. d’Agay transmit cette réponse à Roland, le 22 mars, par une lettre que Roland nous fait connaître (Dict. des manuf., t. I, 66*), et qui est intéressante en ce qu’elle renferme une analyse assez étendue de la réponse, avec des réflexions sarcastiques de Roland mises en parenthèses :

Je vous ai mandé, Monsieur le 9 du mois dernier, « que je faisais par à MM. de la Chambre de Picardie de votre projet de mettre en programme les propriétés de le meilleur emploi à faire de l’indigo pour la teinture, en annonçant un prix honnête, et de soumettre les ouvrages qui seraient présentés sur cette matière à la décision de MM. de l’Académie des Sciences ».

Ces Messieurs viennent de me marquer qu’ils louent fort vos vues (certes), mais qu’ils sont cependant convaincus que l’exécution du projet ne contribuera aucunement à la perfection des teintures. Que les découvertes de la botanique (de la botanique, MM. du commerce d’Amiens !) n’ont rien laissé ignorer sur l’indigo (que fait la botanique à l’analyse chimique de l’indigo ?) et que l’art de le mettre en œuvre est suffisamment connu (en vérité ! MM. les marchands d’Amiens, aucun chimiste ne se serait douté de ce que dites-là ; et vous en savez beaucoup plus que toutes les Académies