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du monde !), qu’on en peut juger par l’état des teintures des Gobelins (il est vrai que l’écarlate des Gobelins prouve beaucoup pour la botanique et pour l’art de mettre en œuvre l’indigo !) et des autres manufactures du 1er ordre ; que si on reproche à celles du second ordre de les faire moins belles, ce n’est pas que les propriétés de cette plante et l’art de l’employer leur soient moins connus, mais parce que le prix des étoffes qu’ils ont à teindre ne peut en soutenir la dépense, surtout depuis dix ans que l’indigo vaut en France cent pour cent de plus qu’auparavant (c’est précisément pour toutes ces raisons senties par l’Administration, par l’Académie et par les chimistes qui ont travaillé en conséquence, que l’analyse de l’indigo devenait un sujet très intéressant) ; qu’ils croient donc que la dépense proposée serait en pure perte, et que bientôt elle mènerait à d’autres qui seraient onéreuses au commerce, etc. (Dict. des manuf., ibid. ; Inv. des Arch. de la Somme, ibid.)

Battu de ce côté, Roland se retourna vers Trudaine, qui lui répondit le 15 avril :

J’ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m’avez écrite le 3 de ce mois, avec la copie de celle de M. l’Intendant d’Amiens, par laquelle je vois que la Chambre du commerce de cette ville ne veut contribuer en rien aux frais du prix que vous avez proposé d’accorder relativement aux teintures. J’en écris à M. l’Intendant, pour savoir ce qu’il sera possible de faire à ce sujet. En attendant, marquez-moi à quelle somme vous pensez que pourrait être portée la valeur du prix dont il s’agit. Je suis, etc. (Ibid.)

Le même jour, Trudaine écrivait à M. d’Agay, lui témoignant combien il était surpris « que la Chambre du commerce, qui n’a été créée que pour le bien et l’avantage du commerce de la province de Picardie, refuse d’encourager un objet aussi important, qui pourrait conduire à des découvertes utiles aux teintures ». Il le prie de faire encore de nouvelles tentatives, et, en cas de nouveau refus, de voir si on ne pourrait prendre cette somme sur les fonds libres de la province ». (Invent. des Arch. de la Somme., ibid.)

L’Intendant répondit aussitôt à Trudaine, le 20 avril, lui demandant de « donner un ordre positif pour cette contribution » et l’assurant qu’il le ferait exécuter. (Ibid.)

Mais il semble que l’affaire en demeura là, au moins sur ce point. Le prix resta fixé à 1,200 livres, et fut décerné en 1777 ; l’Académie le partagea « entre MM. Hecquet et Quatremer » (Dict. des manuf., t. III, lxiii). Roland ajoute, non sans mélancolie : « Quoi qu’il en soit, les personnes qui avaient médité le projet et fait les fonds, MM. Delamorlière, Flesselles et moi, nous crûmes voir notre zèle mal secondé. Nous désespérions de nos moyens ; et, ceci bien senti, joint à d’autres circonstances, fit évanouir la confiance et refermer les bourses ».

Cette question paraît d’ailleurs être revenue sur le tapis quelques années après : « On peut lire, dit-il (Disc. des manuf., t. III, Disc. prél., p. xcviii), sur cette matière et la partie du plan général que je viens de citer, et ma lettre à M. de Couronne (Journal de physique, janvier 1781) et, à la suite, la lettre de M. l’abbé Deshoussayes, avec qui je méditai beaucoup le grand projet qu’il y développe, et les répliques de M. d’Ambournay, et les réponses satifaisantes qu’on y a faites, en forme d’additions, dans le tome XIX de la Collection in-4o des Arts, imprimée à Neufchâtel…[1]».

  1. Cf. ms. 6243, fol. 91-98, les deux lettres de Roland à M. de Couronne, secrétaire perpétuel de l’Académie de Rouen, du 23 août 1780, concernant « la botanique des peintres et des teinturiers », et du 7 décembre 1780, sur le même sujet. Roland y déclare qu’il doit ses idées sur la matière à l’abbé Deshoussayes, et rien à M. D’Ambournay.