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d’ailleurs pour des essais de teinture dont j’ai donné les résultats dans mes Arts, approuvés par l’Académie des Sciences, et faisant partie de la collection publiée sous mon nom ; sans parler du prix sur la matière première, que cette compagnie proposa en 1775, dont je lui avais présenté le sujet, dont j’avais rédigé le prospectus avec ses commissaires, et fait une partie des fonds.

J’avais, par plusieurs mémoires et des sollicitations réitérées très pressantes contre des vexations inouïes, autorisées, soutenues, obtenu plusieurs arrêts du Conseil, entre autres celui qui met à l’abri la seule fabrique d’Amiens de vingt mille livres par an de pilleries faites sur les seuls fils à employer dans les étoffes.

Je ne parle point des choses tentées et qui n’eurent pas lieu : toutes furent jugées utiles par l’Administration, arrêtées, pour la plupart dans l’intention, et renvoyées à un temps plus opportun. Je fis des travaux considérables sur beaucoup de parties ; et dans plusieurs occasions, agissant toujours sans intérêt, sans partialité, faisant toujours le bien public et obligeant singulièrement le grand nombre es particuliers, j’eus avec d’autres des crises violentes mais inévitables, parce que l’esprit de commerce qui est de propager les connaissances, d’étendre les vues, de multiplier la main-d’œuvre, est toujours et partout contraire à celui du commerçant qui ne sait jouir que par la privation des autres, et dont l’avide but d’amasser en particulier, et même en secret, s’il est possible, donne l’exclusion à tout sentiment généreux, à tout bien commun.

Tant de recherches et d’expériences devaient donner lieu à un grand nombre d’étoffes nouvelles et à des variétés des anciennes ; il en a résulté un beaucoup plus grand nombre de métiers ; le double, le triple des ateliers, mécaniques et ustensiles d’apprêts divers, des perfections dans la filature, dans la fabrication et jusque dans les teintures ; plus de conformité, enfin, avec les étoffes des autres nations qui trouvaient un débouché certain dans l’étranger, où quelques vices des nôtres les faisaient rejeter.

Ce fut alors que j’entrepris de faire un corps de mes observations, et que j’en rédigeai une partie pour compléter les trois arts publiés dont j’ai parlé, réservant les autres pour ceux que j’y ai annoncés. L’Académie des Sciences de Paris a scellé ses approbations par des lettres de correspondant ; la Société royale de Montpellier m’a fait le même honneur ; les académies de Rouen, de Villefranche, de Dijon, et des Arcades de Rome m’en ont donné d’associé ; la Société économique de Berne m’a nommé au nombre de ses honoraires.

Il me restait à voir une région intéressante à mille égards ; des raisons de mon état m’y sollicitaient vivement ; les vues du ministre m’en faisaient un devoir. Je devais rechercher pourquoi, dans une infinité d’objets de consommation en Italie, plusieurs nations et surtout l’Anglais avaient, au lieu d’une concurrence de commerce, la prépondérance la plus marquée.

Parti de Paris en 1776, j’y fus de retour en 1778, après dix-huit mois d’absence. J’avais de nouveau traversé la Suisse, parcouru toute l’Italie, passé trois fois les Alpes, trois fois les Apennins, visité les villes et les campagnes de la Sicile, poussé jusqu’à Malte ; neuf fois je m’étais embarqué, trois fois j’avais été dans le plus grand danger et au moment de périr ; je couchai trente nuits sur la planche, j’en fus quatre-vingts sans me déshabiller, dont vingt-deux de suite, si ce n’est de jour pour changer, deux ou trois fois dans l’intervalle ; je supportai des fatigues incroyables, courant, observant le jour, manquant quelquefois du nécessaire, et écrivant la nuit. L’ardeur, la passion de voir et de m’instruire me soutinrent ; j’arrive et, comme une masse, je tombe et reste plusieurs mois entre la vie et la mort. (Mém. des services.)

C’est à Villefranche, chez sa mère, à l’automne de 1777, que Roland fit cette grave maladie. La convalescence fut longue, et il ne semble avoir pu rentrer à Paris que dans les premières semaines de 1778. C’est alors que, ne pouvant plus compter sur la protection de Trudaine,