Cette réplique, avec l’allusion acérée qu’elle renfermait, n’était pas pour calmer Holker. Mais reprenons le récit de Roland :
Il [Holker] fit savoir à M. D.L.P. qu’il n’entrerait pas dans ses manufactures, et qu’il avait écrit pour qu’on lui fermât la porte s’il s’y présentait.
Cependant l’Art fut agréé. M. Trudaine en témoigna plusieurs fois sa satisfaction à l’auteur, qui le vit souvent dans l’espace de trois mois qu’il passa alors à Paris ; il lui dit un jour en souriant : « Vous avez des crises avec M. H. ? — Non, Monsieur, reprit M. D.L.P. ;… M. H. m’en fait, mais je n’en ai point avec lui ; il veut que je ne publie rien sur les velours de coton ; ou c’est comme fabricant, ou c’est comme inspecteur ; si c’est comme fabricant, je n’ai rien à lui répondre, et je continue ; si c’est comme inspecteur, qu’il prenne la plume, et je la quitte. S’il ne veut ni faire ni laisser faire, je ne le considère plus que comme fabricant et je vais mon train. — Vous avez raison », reprit M. Trudaine qui, loin d’avoir jamais donné A M. D.L.P., l’idée que M. H. se fût, en aucun temps, intéressé en sa faveur, lui laissa plusieurs fois entrevoir le contraire.
Parti pour Montigny[1], M. Trudaine y manda M. D.L.P., l’accueillit, l’invita, le retint, eut plusieurs conférences avec lui, lui remit son Art avec le rapport de M. de Montigny[2], lui en fit de nouveaux éloges, parla encore de Sens et de Rouen, insistant sur la vue de ces objets pour la perfection de l’ouvrage ; mais M. D.L.P. négligea d’insister sur le renouvellement de l’ordre, occupé d’ailleurs à recueillir sur l’Italie les intentions de M. Trudaine, qui lui répéta à cette occasion et lui exprima d’une manière positive les raisons qu’il avait toujours eues en le faisant voyager de préférence à tout autre et ses projets de le rapprocher de lui à son retour…
Ceci se passait en juillet 1776, un mois avant le départ de Roland pour l’Italie. Il n’était pas encore de retour qu’il apprenait la chute, puis la mort de Trudaine. C’est à Turin, en dînant chez l’ambassadeur (le baron de Choiseul), qu’il connut « la retraite du seul homme dans le monde à qui j’eusse des obligations et auprès duquel j’oubliais toujours tout intérêt ; tant il me rendait agréables les travaux de mon état, et tant je lui étais attaché d’obligations ! » (Lettres d’Italie, VI, 358)… « Un homme dont je secondais les vues en suivant mes goûts, et dont la confiance en moi était établie par ce qui me vaut ma propre estime » (ibid., 502 ). — Le 17 septembre, arrivé à Villefranche, dans sa famille, il écrit à Marie Phlipon, pour lui expliquer un long silence : « un événement inattendu [la retraite] me causa dans cet intervalle un chagrin violent. Survint une mort que je porterai longtemps dans le cœur… » (Join-Lambert, lettre I).
Roland n’avait plus de protecteur. Aussi le puissant manufacturier jeta-t-il feu et flamme lorsque l’inspecteur, en 1780, fit enfin paraître cet Art du fabricant de velours en coton dont le voyage d’Italie, puis d’autres circonstances, avaient retardé l’apparition. Si Holker n’avait eu à lui reprocher que le fait de cette publication, Roland aurait eu beau jeu en lui répondant, comme il le fit d’ailleurs : … « Si M. H., qui ne pouvait plus douter du désir, de l’intention même de M. Trudaine que cet Art fût publié, et qui devait bien présumer que