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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/148

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voyâtes le mémoire signé[1]. Nécessité, raisons me font approuver l’absence ; rien ne me fait m’habituer à elle, pas même la petite fille qui me donne à remplir des fonctions si chères. Elle requiert mes soins à ce moment, et je vous quitte pour lui faire sucer avec le lait le tendre attachement que je vous ai voué pour jamais ; cette idée ajouterait à mon zèle, s’il pouvait être augmenté ; mais certainement elle accroît mon plaisir. Adieu, cher frère ; recevez mes embrassements.


20

[À ROLAND, À PARIS[2]]
Dimanche au soir [18 novembre 1781, — d’Amiens.]

J’ai eu tant d’humeur ce matin que je suis tout étonnée de me trouver sans fiel ; l’aigre Joséphine m’avait aigrie moi-même plus que je crois ne l’avoir encore été : elle en est aux gémissements, et je suis prête à pardonner. Je t’ai écrit à midi pour oublier ces tracasseries, mais je t’en entretenais ; je viens de trouver cela si dégoûtant, que je le jette au feu.

Tu trouveras ceci bien griffonné, je n’ai qu’une main de libre et je n’y regarde que de côté, ma petite est sur mes genoux, où il faut la garder la moitié du jour. Elle tient le sein deux heures de suite en faisant de petits sommeils qu’elle interrompt pour sucer. Si on l’ôte, elle pleure et mange ses poings. Je suis obligée, dans une même séance, de la porter alternativement aux deux côtés, parce qu’elle vient à bout de les épuiser, ou à peu près. Elle prend étonnamment et elle en rend

  1. Il s’agit d’un « Mémoire d’extraction », destiné à établir les titres qu’avait la famille Roland à des Lettres de reconnaissance de noblesse. Madame Roland l’avait rédigé dans l’hiver de 1780 à 1781, et le chanoine, de mars à juillet 1781, l’avait fait certifier par la noblesse du Beaujolais, ainsi que par les officiers de la sénéchaussée et de la municipalité de Villefranche (voir Appendice J). Tout cela, en prévision d’un garçon, et « ce n’était qu’une fille ! »
  2. Ms. 6238, fol. 141-142. — La lettre est du dimanche 18 novembre 1781, puiqu’en parlant de sa fille, née le 4 octobre 1781, Madame Roland dit « cet enfant de six semaines. »