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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1526

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land n’avait pas foi dans l’esprit pratique de son mélancolique ami. Dès le début, elle disait (lettre 251) : « Plaise au ciel qu’il ne jette pas sa légitime au vent, car il finirait par se déménager de ce monde dans un accès de noir ». Lanthenas n’en vint pas à cette extrémité, mais il dut se retirer assez vite de ces entreprises, car, dès 1787 ou 1788 au plus tard, il n’en est plus question.

En même temps, il songeait à se marier. Une lettre de lui à Bosc, du 4 novembre 1785 (ms. 6239, fol. 262), permet de croire qu’il avait en vue Mlle de Pouzol, fille du lieutenant particulier du présidial du Puy (qui devint maire de la ville en 1790). Diverses indications (lettres 220 et 221, avril 1786, et 241) montrent que ses amis, auxquels il soumettait sa correspondance sentimentale, ne l’encourageaient guère. L’affaire dura néanmoins. Le, 16 juillet 1787, Roland lui écrivait encore : « Nous avons lu votre lettre à la bégueule ; je vous la renvoie. Elle est telle qu’il convient à de grandes prétentions, à beaucoup de vanité et tout autant d’inconséquence. Cette irritable langoureuse se ferait un plaisir et finalement un besoin de vous tourmenter. Tenez-vous en garde contre ce fléau, le plus affreux pour un homme sensible. Ce ne serait pas aux Muses de le chanter, mais seulement aux Eumènides… » Comment se décider au mariage après de si effroyables prédictions ? L’irrésolu Lanthenas attendit pendant tout le reste de sa vie.

Et cependant, désœuvré, curieux de voir et de savoir, il courait Paris. Ce timide, mélancolique connaissait infiniment de gens, et dans les mondes les plus divers. Par l’évêque du Puy, dont son frère aîné faisait les affaires[1]. Il avait accès dans le monde ecclésiastique et avait procuré aux Roland, dans leurs sollicitations de 1784, la connaissance de Dom Blanc, procureur de Saint-Martin-des Champs (v. lettre 123) : par son ami, le swedenborgien Parraud, il semble avoir été mis en rapport avec ces sectes d’illuminés qui pullulaient alors et qui préparaient à leur manière la Révolution. Nous avons vu ses relations avec le fermier général Tronchin. Sa lettre à Bosc du 29 octobre 1785 nous apprend que déjà il connaissait Léonard Bourdon, alors avocat au conseil du Roi ; à la fin de 1787, nous le trouvons en relations suivies (ainsi que Bosc d’ailleurs) avec le baron de Servières, qui s’occupait d’arts industriels, et qui paraît avoir eu alors auprès de Loménie de Brienne un crédit dont il s’agissait d’user en faveur de Roland (voir au ms. 9534, fol. 204-210, la correspondance échangée à ce sujet ; cf. lettre 287). Lanthenas continuait en effet à partager avec Bosc le soin de faire à Paris les commissions des Roland. C’est dire que le jeune naturaliste était toujours sa liaison la plus habituelle. Leur amitié était vraiment fraternelle : c’étaient les lettres de Bosc qui avaient soutenu Lanthenas dans son exil du Puy. Par lui, il connut et Creuzé-Latouche, et Bancal des Issarts (tous habitaient le même quartier, ce qui alors, comme nous l’avons dit, favorisait singulièrement les relations), et aussi Garran de Coulon.

C’est aussi vers cette époque, à la fin de 1787, qu’il rencontra Brissot, s’attacha à lui et servit de premier intermédiaire entre le publiciste et l’inspecteur des manufactures. C’est Madame Roland qui nous l’apprend dans un cahier inédit de ses Mémoires (voir plus loin l’Appendice P., Brissot.)

  1. Germain Martin, loc. cit.