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Cette brochure, imprimée avec une autre de hersaint et une autre de Brissot (À tous les républicains de France), en un volume de 80 pages par les directeurs de l’imprimerie du Cercle social, fut expédiée aux sociétés populaires des départements par le ministère de l’Intérieur. Mais elle ne fut pas partout bien accueillie. Le 17 novembre, la Société des Amis de la liberté et de l’égalité de Fontenay-le-Comte écrivit aux Jacobins de Paris qu’elle avait brûlé les trois brochures, et les Jacobins, le 25 novembre, votaient de cette pour être envoyée aux sections et aux sociétés affiliées (Tourneux, 9337, 9576-9578). Ainsi Lanthenas était encore classé parmi les Girondins. C’était le moment, au contraire, où il se séparait d’eux.


§ 10. Rupture avec les Roland.

Comment Lanthenas en vint-il à se séparer de ses compagnons d’armes et à rompre avec les Roland ? Madame Roland (Mémoires, II, 246) n’indique qu’une cause : sa jalousie au sujet de Buzot. Nous croyons qu’elle a vu juste, mais que cette cause ne fut pas la seule. Il y eut aussi un dissentiment politique profond, qui ne fut pas seulement la conséquence de cette jalousie, mais qui la précéda, l’accompagna et l’exaspéra. Les actes humains sont presque toujours complexes, et assurément ce fut ici le cas. Roland et ses amis, surtout Buzot qui venait de passer un an en province et en rapportait une sourde irritation contre Paris, prétendaient suivre une politique relativement conservatrice ; Lanthenas, poursuivant ses idées sans tenir aucun compte des difficultés pratiques, lié par son passé révolutionnaire, resté en contact avec beaucoup de Montagnards, demandait au ministre de se porter à gauche et s’irritait de ne pas l’obtenir. Les billets si curieux que nous publions (lettres 508 à 520) nous font assister aux explications irritées qui eurent lieu entre lui et Madame Roland. Ils ne sont pas datés, sauf le dernier, qui est du 20 janvier 1793. Mais divers indices nous ont amené à conclure qu’il faut placer les autres en novembre et décembre 1792. Une phrase de Lanthenas confirme notre conjecture, « L’on m’a vu, écrivait-il en août 1793[1], au mois de novembre, au sein de la Convention, plongé dans la plus profonde tristesse, pendant les succès d’un parti[1] ». Qu’on rapproche ces mots de ce qu’écrit Madame Roland : « Il prétendait se mettre entre le côté droit dont il blâmait les passions et le côté gauche dont il ne pouvait approuver les excès » — nous conservons les soulignements — et on verra que le parti visé par Lanthenas n’est autre que celui de ses anciens amis. Nous avons donc, par lui-même, la date de la rupture.

La page de Madame Roland que nous avons citée se termine par un mot terrible : « Il fut moins que rien et se fit mépriser des deux parts ». Il est certain que le malheureux Lanthenas, sévèrement jugé par les amis dont il s’était éloigné à l’heure où le péril fondait sur eux, tenu à distance par les vainqueurs qui ne voyaient en lui qu’un rêveur importun, traîna pendant l’année 1793 une existence désolée.

Après la condamnation de Louis XVI, où il vota la mort, — mais avec sursis et cinq ou six conditions restrictives, — après la démission de Roland, il s’efforça de s’isoler de la lutte et

  1. a et b Motifs de faire du 10 août un jubilé fraternel, p. 35.