Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait, dans ses Mémoires, en maint endroit (notamment I, 56-57 ; cf. lettre 414), un éloge bien mérité, que confirment tous les témoignages de l’histoire.

Quand les Roland, après être retournés en Beaujolais, rentrèrent définitivement à Paris, le 15 décembre 1791, le groupe était dispersé, le salon avait vécu. « Il n’y avait plus de point de ralliement et nous vîmes beaucoup moins Brissot lui-même » (Mém., I, 67). Membre de la Législative, il n’avait plus guère le temps d’aller rue Guénégaud. Mais Roland le retrouvait aux Jacobins, où le journaliste était alors tout-puissant, et où l’ancien inspecteur commençait à se faire une place. Nous avons raconté, dans l’Avertissement de l’année 1792, comment, dans la crise ministérielle qui amena pour la première fois le parti patriote aux affaires, ce fut Brissot qui désigna Roland pur l’Intérieur en même temps que Clavière pour les Contributions publiques. Le rédacteur du Patriote avait donc, dès le début, deux hommes à lui dans la place ; il en eut trois lorsque Roland y eut introduit Servan (9 mai). Il les soutint énergiquement avant et après leur chute (voir le Patriote, passim.). Il triompha avec eux le 10 août, et put se croire alors maître de la situation. C’est à ce moment sans doute qu’il écrivait à Madame Roland une lettre (saisie dans les papiers de son mari[1] en avril 1793), qui se terminait ainsi : "Je serai libre demain et aux ordres de Madame Roland. Je lui envoie pour son mari et pour Lanthenas une liste de patriotes à placer. Car il doit toujours avoir une pareille liste sous les yeux. — Tout aux amis, J.-P. Brissot ». Le crime était véniel.

Lorsque Roland voulut, en septembre 1792, quitter le ministère pour accepter le mandat de député de la Somme, Brissot insista pour qu’il restât à son poste de combat (lettre 499). Il avait évidemment trop d’intérêt à vouloir l’y maintenir. La retraite de Roland eût dès lors livré le pouvoir au parti montagnard.


§. 5.

À l’heure de l’irréparable défaite (31 mai-2 juin 1793), Brissot, porté un des premiers sur les listes d’arrestation, prit la fuite. Sans raconter ici sa lamentable odyssée, disons seulement que ce chef de parti, qui depuis quatre ans dirigeait un journal considérable, qui avait fait des ministres, resta d’abord trente-six heures à Paris faute d’argent pour se mettre en route[2]. Ce n’est que le 4 juin qu’il put partir. On sait qu’il fut arrêté à Moulins le 10, ramené à Paris le 22 et écroué le 23 à l’Abbaye. Madame Roland y était depuis le 1er juin. Ils allaient donc se retrouver. Soit que le Comité de sûreté générale craignit de les laisser ensemble, comme le prétend Madame Roland (lettres 538, 541), soit pour tout autre motif, c’est à Sainte-Pélagie que la prisonnière, après son élargissement dérisoire du 24, fut réintégrée. Mais, bien que séparés, ils trouvèrent le moyen de correspondre. C’est sur le conseil de Madame Roland, « dans une lettre qu’elle me lut, dit Champagneux (Disc., prélim., p. l), et où elle avait réuni tout ce que la philosophie et l’amitié ont de plus sublime », que Brissot employa sa captivité à écrire, ou plutôt à continuer ses Mémoires. On

  1. Rapport de Brival, du 19 mai 1793. Brival a défiguré le texte. Nous le rétablissons d’après Lanthenas.
  2. Lettre de Barbaroux au Marseillais, citée par A. Duchâtellier, Histoire de la Révolution en Bretagne, t. I, p. 407.