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des vulgaires défaillances. Autant nous ne voyons pas trace de ce sentiment en 1791, autant, à l’époque que nous marquons, tout nous montre qu’il a impétueusement surgi. « On vit ici dix ans en vingt-quatre heures », écrivait déjà Madame Roland dans les premiers mois de son retour à Paris (lettre 441), comme si elle prévoyait dès lors les orages qui allaient emporter le reste de sa vie.


§ 6.

Lanthenas, avons-nous dit, n’avait pas parlé à Roland. Mais il s’était plaint à d’autres, nous le savons par Madame Roland elle-même : il avait « manifesté son mécontentement à des tiers » (lettre 515). À qui ? probablement à ses deux amis intimes Bancal et Bosc. Entre les mains de ces deux hommes si honnêtes, si délicats, le secret était en sûreté. Aussi est-il curieux de voir combien les attaques des clubs et des journaux, déchaînés contre la femme du ministre, même après qu’il se fut retiré, portent à faux. Buzot avait été pourtant, entre tous les Girondins[1], un des hôtes les plus assidus de l’Hôtel du ministère ; plus que tous les autres, il avouait Roland et combattait à la tribune[2]. Et néammoins, quand on dénonce « le boudoir de Madame Roland », les dîners du ministère, l’influence exercée dans le parti droit de l’Assemblée et dans la presse par « la Pénélope du vieux Roland », le nom de Buzot n’apparaît que rarement et presque toujours d’une manière incidente. Le plus souvent c’est Louvet, c’est Gorsas, — les journalistes du parti droit, cible tout indiquée pour ceux du camp opposé, – c’est Brissot (!), — c’est Lanthenas, mais surtout c’est Barbaroux qu’on met en cause. Une seule fois, du moins à note connaissance, Hébert vise Buzot expressément[3]. Mais la note dominante, c’est ce même Hébert qui la donne dans un de ses plus odieux articles : « Que vais-je devenir, — fait-il dire, dans son numéro du 20 juin, à la prisonnière de l’Abbaye, — si mon cher Buzot, si l’ami Gorsas, si mon petit

    25 décembre 1792, en lui disant : « Après mon mari, ma fille, et une autre personne, vous êtes le seul à qui je le fasse connaître », était probablement une réplique de la miniature qu’elle venait de faire faire au peintre Langlois, pour l’échanger avec celle de Buzot. Ici encore, nous avons une date.

  1. « Buzot… venait fréquemment à l’Hôtel de l’Intérieur. » (Mém., I, 49.) Il importe, en effet, de distinguer, parmi les hommes qu’on réunit sous la dénomination de Girondins, ceux qui étaient « Rolandistes », « Brissotins », et ceux qui, comme Vergniaud et beaucoup d’autres, n’allaient pas chez Madame Roland. (V. Aulard, Hist. politique de la Révol. française, p. 410.)
  2. Madame Roland continua-t-elle, après que son mari eut quitté le ministère à la fin de janvier 1793, à avoir une action sur le parti girondin ? En particulier, a-t-elle contribué à faire échouer la tentative de rapprochement des deux partis en mars 1793 ? Pour notre compte, nous ne voyons pas que son influence ait survécu à la retraite de son mari. Assurément, les amis particuliers, Buzot, Barbaroux, Louvet, etc… continuaient à fréquenter l’humble logis de la rue de la Harpe. Assurément aussi, Madame Roland suivait avec passion ses amis dans leurs luttes suprêmes. Mais d’action directe, nous n’en trouvons pas trace. Quand le 31 mai arriva, elle s’apprêtait à partir pour le Clos.
  3. N° 204 du Père Duchesne, cité par M. Dauban, Études, p. clxv