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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1591

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Louvet, si le favori de mon cœur, le divin Barbaroux, n’allument la guerre civile dans les départements ?[1] »

Ce n’étaient là que des insultes en l’air. Mais une indiscrétion plus grave avait été commise. Camille Desmoulins, mieux renseigné qu’Hébert, va nous l’apprendre :

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1793, le Comité de défense générale de la Convention, ne pouvant plus douter de la trahison de Dumouriez, avait ordonné vingt-six arrestations parmi les amis et familiers du général, et, ému sans doute d’une accusation récente de Danton[2], avait prescrit l’apposition des scellés sur les papiers de Roland[3]. Les Girondins, alors aussi nombreux que les Montagnards dans le Comité, croyaient faire preuve par là d’impartialité. Quant aux Montagnards, ils espéraient certainement procurer ainsi des armes contre leurs adversaires. Camille Desmoulins le dit nettement dans sons son cruel pamphlet de l’Histoire des Brisontins[4] :

« Combien d’autres découvertes curieuses on eût fait dans la levée des scellés, si, lorsque nous avons arrêté leur apposition au Comité des Vingt-cinq, on n’eût pas vu s’écouler l’instant d’après une foule de députés[5] qui ont couru mettre l’alarme au logis, rue de La Harpe, de manière que M. et Madame Roland ont eu plus de six heures d’avance pour évacuer le secrétaire. »

On sait qu’on ne trouva, lorsque les scellés furent levés après le 7 avril, rien qui apprit autre chose que ce que tout le monde savait de reste, les rapports étroits de Roland avec Brissot et le parti de la Gironde. Ce n’était pas ce que certains espéraient, Camille Desmoulin en fait l’aveu :

« Jérôme Pétion disait confidemment à Danton, au sujet de cette apposition de scellés : « Ce qui attriste ce pauvre Roland, c’est qu’on y verra ses chagrins domestiques et combien le cocuage semblait amer au vieillard et altérait la sérénité de cette grande âme ». Nous n’avons point trouvé ces monuments de sa douleur…[6] ».

Ici tous les mots portent. Remplaçons les termes grossiers par d’autres plus séants, nous avons presque le passage, des Mémoires (II, 244) cité plus haut. Camille sait que Roland a des « chagrins domestiques », et il le sait par Danton, qui le tient de Pétion, auquel le vieillard s’était sans doute imprudemment confié. Et c’est dans les soucis patriotiques de cette nuit du 31 mars, où il siège Comité à côté de Danton, que Pétion livre à un adversaire les misères (probablement les confidences) d’un vieil ami ! Les confidences sont d’ailleurs restées incomplètes, car Camille ignore le nom de l’homme aimé et regrette de n’avoir pu le découvrir.

  1. N° 248, du Père Duchène, Étude, p. ccx
  2. Le 27 mars, à la Convention, Danton avait affirmé que Dumouriez lui avait montré une lettre de Roland disant : « Il faut vous liguer avec nous pour écraser ce parti de Paris et surtout ce Danton ». Roland, le même jour, avait envoyé une lettre de protestation, qui n’est pas d’ailleurs une dénégation formelle.
  3. Aulard, Salut public, t. II, P. 592.
  4. Paru dans la seconde quinzaint de mai. Œuvres de Camille Desmoulins, éd. Claretie, t. I, p. 339.
  5. Barbaroux, Buzot, Gensonné, Guadet, Isnard, Lasource, Pétion, Vergniaud, etc… faisaient partie du Comité, en même temps que Danton, Camille Desmoulins, Fabre d’Églantine, Robespierre, etc…
  6. Hist. des Brissontins, p. 338.