Aussitôt après l’exécution des Vingt-et-un (30 octobre), le procès de Madame Roland avait commencé. Le 1er et le 3 novembre, elle subissait deux interrogatoires, dont elle a elle-même écrit les compte rendu (Mém., I, 317-323), et dont le texte officiel a été publié, d’abord par Champagneux (III, 396-405) d’après la minute des Archives, puis, sur le texte de Champagneux, par M. Faugère (I, 406-415). Mais le texte de ces deux éditeurs n’est par partout conforme à celui des Archives[1] ; Champagneux a fait quelques modifications, dont une est à relever.
Le juge David avait fait une question perfide et outrageante :
« …Interrogée si, parmi les dénommés à nos précédents interrogats[2], il n’en est pas avec lesquels elle a eu des relations plus intimes et plus particulières qu’avec d’autres,
« À répondu que Roland et elles étaient liés, depuis l’Assemblée constituante, avec Brissot, Pétion et Buzot.
« Demandé itérativement à la répondante si, particulièrement et distinctement de Roland, son mari, elle n’a pas eu de relations particulières avec aucun des ci-devant dénommés.
« À répondu qu’elle les avait connus avec Roland, et par Roland, et, les connaissant, elle a eu pour eux le degré d’estime et d’attachement que chacun d’eux lui a paru mériter. »
Champagneux, pour faire disparaître l’insulte révélatrice, a imprimé « particulièrement et distinctement avec son mari », ce qui n’est pas le texte et n’a aucun sens.
C’est à des questions de ce genre que faisait allusion un de ses compagnons de captivité, Riouffe, lorsqu’il écrivait[3], en 1795, qu’on lui avait fait « des questions outrageantes pour son honneur ».
Nous croyons inutile de faire remarquer la fierté habile des réponses. L’accusée ne songe pas à désavouer Buzot ; mais elle lui adjoint Brissot et Pétion, en leur accordant à tous « le degré d’estime et d’attachement que chacun d’eux lui a paru mériter ».
Une circonstance du second interrogatoire doit être aussi relevée :
Interrogée de nous nommer les personnes qu’elle nous a dit, par sa réponse au précédent interrogat [sur la correspondance de de Perret avec les réfugiés du Calvados], être les amis d’elle et de de Perret.
« A dit que c’était particulièrement Barbaroux. »
Pour mesurer tout ce que la question avait de captieux et tout ce que la réponse a d’évasif, il faut rappeler qu’on venait de représenter à Madame Roland, parmi les pièces à charge, une lettre à elle adressée par de Perret, vers la fin de juin 1793 (voir ci-dessus, p. 489), où il y avait : « J’ai gardé plusieurs jours trois lettres que Bar… et Bu…
- ↑ Arch. nat., W 294, dossier 227.
- ↑ Les éditeurs ont imprimé interrogatoires ; ce qui est contraire au texte et constitue d’ailleurs un non-sens, puisque ce interrogatoire est le premier.
- ↑ Mémoires d’un détenu, p. 56 de la 2e édition. — Il se peut cependant que ces mots « distinctement de son mari » visent simplement ce fait, que les relations étaient postérieures à la disparition de Roland. Mais le soin même avec lequel, dans son propre compte rendu, elle glisse sur ce genre de questions, confirme ce que, après Riouffe, nous croyons y voir.