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Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/1598

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m’avaient adressées pour vous ». Il fallait donc qu’à la question du juge elle répondit « Barbaroux » ou « Buzot ». Elle n’hésite pas : Barbaroux est celui des deux qui est le plus désigné par les documents saisis ; ses lettres du 13 et du 15 juin à de Perret sont là ; quoi quelle réponde, il n’en sera pas compromis davantage. C’est donc lui qu’elle nommera, au risque de donner corps à la calomnie, afin de pouvoir laisser dans l’ombre l’homme véritablement aimé.

Elle semble avoir réussi à détourner les soupçons sur Barbaroux. C’est lui surtout qui est visé dans le jugement du 8 novembre[1] qui envoya Madame Roland à l’échafaud.


§ 16.

On ne trouva rien, dans les dépouilles de Madame Roland, qui pût mettre sur la voie de son secret. Depuis plusieurs jours, elle avait fait remettre à Mentelle, avec ses derniers « cahiers » et ses derniers souvenirs, le portrait de Buzot, « this dear picture », qu’elle s’était fait apporter à Sainte-Pélagie[2].

C’est dans le souterrain de la maison Bouquey, à Saint-Émilion, où il vivait caché depuis un mois avec Louvet, Guadet, Pétion, Barbaroux, Salles et Valady, que Buzot apprit, le 13 novembre, au moment où les malheureux allaient se disperser de nouveau, la mort de son amie. Son désespoir fut extrême. Il en fut comme anéanti durant quelques jours[3]. « Elle n’est plus, — écrivait-il à son ami Letellier, à Évreux[4], — elle n’est plus, mon ami ! Les scélérats l’ont assassinée ! Jugez s’il me reste quelque chose à regretter sur la terre ! Quand vous apprendrez ma mort, vous brûlerez ses lettres. Je ne sais pourquoi je désire que vous gardiez pour vous seul un portrait. Vous nous étiez également cher à tous les deux… » Quelques mois plus tard, en terminant ses Mémoires (écrits en partie chez Mme Bouquey, en partie dans le réduit du perruquier Troquart, où il trouva un asile à partir du 20 janvier 1794), Buzot ajoutait encore : « Un bon ami que j’ai à Êvreux [Letellier] a dans

  1. Arch. nat., dossier déjà cité. — Mémoires, t. I, p. 420 et suiv. — Dans toutes les pièces du dossier des Archives, — dénonciation du 1er juin devant le Comité révolutionnaire de la section du Panthéon, – déposition faite le 7 novembre par l’odieuse Mlle Mignot, – déposition du fidèle domestique Louis Lecocq, — le nom de Buzot n’apparait jamais que comme perdu au milieu des autres.
  2. Voir lettres 540 et 551, et l’Appendice suivant (Mentelle).
  3. J. Guadet, p. 20 de la Vie de Buzot, en tête de l’édition de 1823 des Mémoires de Buzot ; — Le même Saint-Émilion, son histoire et ses monuments, édition de 1863, p. 171-174.
  4. Bibl. nat., nouv. A. fr., ms. 1730. Ce manuscrit renferme, outre cette lettre à Letellier, les cinq lettres de Madame Roland à Buzot de juin et juillet 1793, les Mémoires de Buzot, ceux de Pétion, une partie de ceux de Louvet. C’est évidemment le dépôt constitué par les proscrits, à diverse reprises, entre les mains de leur généreuse hôtesse et saisi en juin 1794. M. Vatel a raconté (t. III) comment, après bien des aventures, il est parvenu jusqu’à nous.

    La lettre à Letellier, écrite sous le coup de la lugubre nouvelle, devait lui être transmise quand on trouverait une occasion sûre, qui ne s’offrit pas.

    Le portrait était la miniature qui se trouve actuellement aux Archives nationales. Elle devait être transmise avec la lettre, et fut saisie comme elle en juin 1794, et transmise au Comité de salut public (voir Appendice V).