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Marat, car Mentelle dit, avec une candide confiance : « Il avait connu autrefois Marat. Depuis, il connut Danton, Robespierre. Je défie ces trois hommes d’administrer aucun fait contre lui et de le signer ».

L’autre pièce (fol. 235) a pour titre : « Impartialité en faveur de l’innocence soupçonnée ». Elle est un peu postérieure, ainsi qu’on le voit dès les premières ligues : « Des hommes égarés et des méchants provoquent les sections de Paris pour obtenir de la Convention le jugement de Brissot… » (c’est le 4 septembre que les sections vinrent présenter cette demande à l’Assemblée).

Cet appel est plus court que le précédent et la forme n’en est pas moins naïve. Il y a un mot touchant. En rappelant que Brissot avait été emprisonné par la Cour en 1784, Mentelle dit : « Il y avait alors une prison célèbre, sous le nom de Bastille (hélas ! qu’y fait le nom ?) … ».


§ 4.

En même temps que Brissot, Mentelle voyait Madame Roland à Sainte-Pélagie et devenait son suprême confident[1].

Poussé par la reconnaissance et par la pitié, il était allé demander deux fois à Fouquier-Tinville, mais inutilement, l’autorisation de voir la prisonnière. Rencontrant un jour, dans une de ces visites, l’avocat Chauveau-Lagarde, qui avait précisément l’accès de la prison comme défenseur de la belle-mère de Pétion (voir lettre 545), il le chargea d’offrir à Madame Roland ses services. On convint dès lors qu’elle écrirait à Mentelle sous le nom de Jany. Dès le 28 septembre, elle le charge d’aller prendre et porter des nouvelles chez Mme Sophie Grandchamp ; elle lui fait passer la suite des cahiers de ses Mémoires particuliers, c’est-à-dire la fin du 4e cahier, le 5e et le 6e (le commencement était chez Bosc) ; vers le 4 octobre, envoi du 7e cahier ; le 8 octobre, envoi du 8e, des Dernières pensées et des deux lettres d’adieu pour sa fille et sa bonne ; après le 14 octobre, enfin, la prisonnière fait transmettre à Mentelle, admis dans sa plus entière confidence, sous le titre de Dernier supplèment, adressé nommément à Jany, ces cahiers aujourd’hui perdus qui étaient ses Confessions. Elle lui donnait mission de publier un jour, le plus tôt possible, tous ces écrits, en réservant toutefois les Confessions pour une époque plus éloignée, et lui faisait remettre en même temps le portrait de Buzot, puis, à la veille de l’échafaud, sa montre, son propre portrait et celui de Roland.

Mentelle répondait à tant de confiance par un dévouement infatigable ; il voyait les amis de la prisonnière : Mme Grandchamp, Bosc, Creuzé-Latouche, la bonne Fleury. Le jour où Madame Roland était conduite au Palais de justice, à l’ouverture du procès des Girondins (24 octobre), il parvenait à l’y entretenir un instant et à lui remettre un billet à la dérobée. Enfin il lui faisait parvenir des nouvelles de Brissot.

  1. Tous les détails qui vont suivre ressortent d’une étude des documents même. Voir nos deux études sur « Jany », le dernier correspondant de Madame Roland » (Révolution française de janvier et mars 1896), et sur « Les manuscrits de Madame Roland » (Ibid, mars et avril 1897).