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Lettres Cannet, 12 mars.) Les deux sœurs Cannet sont jalouses d’Agathe, et Marie se croit obligée de s’excuser avec elles d’avoir donné son portrait à l’humble religieuse, en se plaignant presque de « l’acharnement » de cette amitié. (Lettres Cannet, 18 novembre 1774, 9 et 22 janvier 1775.)

Dès que la fille du graveur peut s’échapper un moment du logis, c’est pour aller voir Agathe au couvent. « Mon Agathe m’écrivait de temps en temps de ces lettres tendres dont l’accent, tout particulier à ces colombes gémissantes qui ne pouvaient se permettre que l’amitié, était encore avivé chez elle par son âme ardente ; les petits coffres, les jolies pelotes et les bonbons les accompagnaient toutes les fois qu’il lui était possible de les y joindre ; j’allais la voir de temps en temps… « (Mém., II, 79-80.) C’est auprès d’Agathe qu’elle était la veille de la mort de sa mère. (Juin 1775, Ibid., 167-169.) Puis la religieuse entreprend de la marier. (Lettres Cannet, 24 janvier, 5 février 1776.) Mais le moment n’était pas propice : La Blancherie occupait alors la place et Roland venait d’entrer en scène.

Au jour de la grande crise, au moment où, ne pouvant plus rester chez son père et voulant d’ailleurs amener Roland à se prononcer, Marie Phlipon cherche un asile honorable, c’est auprès d’Agathe, à la congrégation, qu’elle se réfugie ; la pieuse fille est sa confidente ; Roland ne l’ignore pas[1]. Tous les soirs, les deux amies se rejoignent : « Plusieurs journées s’écoulent sans que je parle à d’autres qu’à mon amie, qui me donne chaque soir une demi-heure »[2]. « Tous les soirs, avant de me coucher, j’ai, pendant un quart d’heure, Sainte-Agathe, toujours tendre et toujours active[3]. » « Tous les soirs, la sensible Agathe venait passer une demi-heure près de moi ; les douces larmes de l’amitié accompagnaient les effusions de son cœur[4] ». La religieuse en vient à se charger des lettres de Roland pour son amie : « J’étais au jardin lorsque mon Agathe, munie de ta lettre, me cherchait de tous les côtés pour me la remettre »[5]. Et l’amoureux quadragénaire, si jaloux qu’il soit de son secret, se résigne à le voir confié à une alliée si sûre : « As-tu reparlé de moi à ton Agathe ? sois vraie ; je ne t’en saurai pas mauvais gré, puisque tu la juges digne de toi »[6]

De tels souvenirs ne s’effacent pas. Agathe a bien été pour Marie Phlipon, comme elle l’écrit à Lanthenas le 20 juillet 1790, « l’amie de mon jeune âge, de mes années heureuses et de mon temps d’épreuve ».

Mariée, mère de famille, Madame Roland reste fidèle à la recluse. Roland se rend-il d’Amiens à Paris, elle le charge d’aller voir Agathe, de lui porter de petits cadeaux (voir Correspondance, passim) ; lorsqu’elle y vient elle-même en mars-mai 1784, elle la revoit avec le même empressement ; elle ne l’oublie pas non plus lorsqu’elle traverse Paris en septembre 1784 pour se rendre en Beaujolais, et il est probable qu’elle la trouve malade, car dès son arrivée au Clos, le 3 octobre 1784 (lettre 163), elle charge Lanthenas d’aller prendre de ses nouvelles, et, le 15 décembre suivant (lettre 170), elle remercie Bosc du soin qu’il a pris de lui donner « de sûres nouvelles d’Agathe ».

  1. Rec. Join-Lambert, 16 novembre 1779 : « Entre plusieurs amies, tu en as une fidèle, constante et sûre, et tu es malheureuse ? »
  2. Ibid, 4 décembre.
  3. À Sophie Cannet, 2 décembre.
  4. Mém., II, 242.
  5. Rec. Join-Lambert, cix.
  6. Ibid, 16 janvier 1780.