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La santé de la pauvre nonne déclinait, et le moral s’en ressentait ; déjà, le 28 octobre 1778. Marie Phlipon écrivait à Sophie Cannet : « …C’est une fille sacrifiée ; sa santé se délabre tous les jours davantage, les disgrâces l’assiègent, et le dégoût de la vie s’insinue dans son cœur… ». Les approches de la Révolution ne firent qu’augmenter l’ébranlement de son esprit, surtout après le décret du 13 février 1790, qui supprimait les ordres monastiques, en autorisant seulement les religieuses à rester dans les couvents dont on leur ouvrait les portes. Agathe resta, mais plus troublée que jamais. Dana une lettre à Lanthenas, du 20 juillet 1790, déjà citée, Madame Roland, après l’avoir chargé d’aller voir Agathe à la congrégation, ajoute : « Sa dernière lettre avait de tels caractères de démence, que je l’ai pleurée comme perdue et que je n’ai plus su quel ton prendre pour lui écrire. Mais ce pourrait être un accès passager. »

Cependant, la liquidation des biens de la petite communauté se poursuivait conformément à la loi, et une lettre du ministre des Contributions publiques, des 28-31 août 1791, promettait une pension de 300 livres à chacune de ses religieuses et de 150 livres seulement aux sœurs converses, ce qui était le cas de la pauvre Agathe. (Tuetey, III, 4719-4728.)

Mais, après le décret du 17 août 1792, qui ordonnait l’évacuation des couvents à partir du 1er octobre, la malheureuse fille dut quitter la maison qui depuis plus de trente ans abritait sa vie. Elle se logea dans le quartier, sur cette pente alors couverte de jardins, de couvents, d’humbles logis, qui s’incline du Panthéon vers le Jardin des Plantes et vers cette maison de Sainte-Pélagie où son ancienne élève allait être bientôt conduite. Madame Roland n’avait pas cessé, dans ces années 1791 et 1792, au milieu des orages de sa propre vie, de s’occuper d’elle ; « Dans les dernières années de l’existence des couvents, ce n’était plus qu’elle seule que j’allais voir dans le sien… ». (Mém., II, 53.)

Aux jours de la prison et des angoisses, ce fut le tour d’Agathe de s’inquiéter et de le faire savoir à « sa fille » : « Sortie de cet asile lorsque l’âge et les infirmités le lui rendaient nécessaire, réduite à la médiocre pension qui lui est assignée, elle végète non loin des lieux de notre ancienne demeure et de ceux où je suis prisonnière, et, dans les disgrâces d’une situation mal aisée, elle ne gémit que de la détention de sa fille, car c’est ainsi qu’elle m’appelle toujours… » . (Ibid., écrit en août 1793, à Sainte-Pélagie.) Agathe, — redevenue Angélique Boufflers, — sert même d’intermédiaire pour la correspondance avec Buzot fugitif (lettre 542). « Ma pauvre Agathe ! Elle est sortie de son cloître sans cesser d’être une colombe gémissante ; elle pleure sur sa fille ; c’est ainsi qu’elle m’appelle…  » (Mém., II, 235 ; écrit aux premiers jours d’octobre 1793.) Et dans la lettre du 8 octobre, à la fidèle Fleury : « Dis à mon Agathe que j’emporte avec moi la douceur d’être chérie par elle depuis mon enfance et le regret de ne pouvoir lui témoigner mon attachement ». M. Jal (Dict. critique, art. Roland) a retrouvé la date de la mort de l’humble converse, 14 avril 1797.